Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/194

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temps. Je ne parle point ici des querelles de Fréron et de son lâche procédé avec M. Marmontel : cette histoire est trop connue, et se trouve imprimée dans la Bigarrure, en Hollande ^

Six mois se passèrent sans que Fréron pût obtenir la permission de reprendre ses feuilles. Mais ayant fait beaucoup de bassesses auprès de Solignac, secrétaire du roi de Pologne et ex-jésuite comme lui, ce Solignac persuada à Sa Majesté que Fréron était persécuté ; qu’il mourait de faim ; qu’il avait une femme et des enfants ; et qu’enfin Sa Majesté bienfaisante ne pouvait pas mieux user de ses bontés qu’envers Fréron. Il l’engagea à se montrer son protecteur, et Fréron eut le droit de recommencer ses satires.

Dans ce temps-là l’abbé Laporte avait quitté ses feuilles, parce que ce métier lui paraissait infâme et indigne d’un littéra teur. Fréron vint le trouver, lui proposa de s’associer avec lui ; l’abbé Laporte y consentit à la fin, à condition qu’il ne mettrait point sou nom, et qu’il ne paraîtrait pas y avoir part. « Je veux bien, dit Fréron, me charger de tout l’odieux de la besogne, mais je veux que ce sacrifice de mon honneur me tienne lieu de travail ; ainsi, en faisant le quart de la feuille, je veux qu’elle me soit payée comme si j’en avais fait la moitié. » L’abbé Laporte accepta la proposition, et les voilà associés. Il était dit, dans le traité, que le libraire payerait à l’abbé Laporte le quart de la feuille, lorsqu’il en aurait fait la moitié, et qu’il payerait la moitié du prix toute la feuille faite. Comme c’était le libraire qui payait, l’abbé Laporte n’a point eu à se plaindre du payement.

Ils travaillèrent ainsi pendant quelques mois. Laporte fit l’ex- trait des Lettres sur l’histoire par milord Bolingbroke ; Fréron ajouta à cet extrait des personnalités offensantes contre ce milord. Ceux qui s’intéressent encore à sa mémoire se plaignirent : voilà encore les feuilles de Fréron suspendues.

Fréron va crier famine chez le magistrat de la librairie, re- présente ses enfants et sa femme nus et mourants de faim ; il écrit à son protecteur Solignac, et on lui rend ses feuilles. Il les continue jusqu’en 175/j, sous le titre de Lettres sur quelques écrits

1. Dans la Bigarrure, tome 1er, pages 147-151, on parle d’une dispute qui eut lieu au Théâtre-Français (alors rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés), entre Marmontel et Fréron, et qui fut immédiatement suivie d’un duel au carrefour de Bussy, en présence d’un grand nombre de spectateurs. Ce fut le sujet de beaucoup d’épigrammes. La Bigarrure s’imprimait en Hollande, et se distribuait par cahier de huit pages. La collection forme vingt volumes petit in-8°, de 1749 à 1753. La Nouvelle Bigarrure, qui y fait suite, a seize volumes, de 1753 à juin 1754. (B.)