Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/217

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que son mari, après l'avoir bieu caressée, l’a traînée par les cheveux sur le plancher.

Ce Chamont, qui n’entend pas raillerie, s’en va vite trouver le père (qui par parenthèse était tombé en faiblesse dans le courant de la tragédie par excès de vieillesse); il lui parle du même ton qu’il a parlé à l’aumônier : « Savez-vous, lui dit-il, que votre fils Castalio a épousé ma sœur? — J’en suis fâché, répond le bonhomme. — Comment, fâché? pardieu ! Il n’y a point de grand seigneur qui ne s’enorgueillît d’avoir ma sœur, entendez-vous ? Mais, morbleu, il l’a maltraitée ; je veux que vous lui appreniez à vivre, où je mettrai le feu à la maison. — Eh bien, eh bien, je vous rendrai justice. Adieu, fier garçon. »

Ce pauvre père va donc parler à Castalio son fils, pour savoir quelle est cette aventure. Pendant qu’il lui parle, Polidore veut savoir de Monime comment elle se trouve de la nuit passée; il croit n’avoir joui que de la maîtresse de son frère, en vertu de la permission que son frère lui avait donnée. Monime, à ses discours, se doute de la méprise ; enfin Polidore lui avoue qu'il a eu ses faveurs. Monime tombe évanouie; elle ne reprend ses sens que pour s’abandonner à l’excès de sa juste douleur. " « Malheureux ! sais-tu quel crime tu as commis, et tu m'as fait commettre? Je suis la femme de ton frère... — Qui ? vous ! Quoi ! mariée... — Oui, mariée d’hier; et nous sommes coupables du plus horrible inceste. » Alors ce sont, de part et d’autre, des regrets, des pleurs, des cris; c’est le plus violent désespoir. « Je vais faire pénitence le reste de ma vie, dit Polidore. — Et moi aussi, dit Monime. — Je veux d’abord, dit Polidore, pour première pénitence, je veux, si tu es grosse, que ton fruit périsse.... — non, dit Monime, je veux qu’il vive, qu’il soit aussi malheureux que nous, qu’il porte la peine de notre crime.

— Allons, dit Polidore, dans quelque affreuse solitude: errons comme Adam et Eve chassés du Paradis; allons parmi les serpents qui boivent le sang des enfants; et quand je mourrai, puisses-tu me tenir dans tes bras ! »

Voilà donc l’abomination de la désolation dans la famille : le père, outragé par Chamont; son fils Castalio, toujours au désespoir d’avoir été rebuté par sa femme ; cette femme, criminelle malgré elle, en proie à la douleur et à la honte ; Polidore, dévoré de ses remords et de son désespoir. 11 vient trouver son frère, il l'insulte exprès, il l’appelle menteur et poltron, pour l’engager à mettre l’épée à la main. Castalio tire en effet l’épée ; Polidore se précipite lui-même au-devant du coup. ^ Voilà ce que je voulais: voilà ce