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EXAMEN DU TESTAMENT POLITIQUE

Comme je suis encore en vie, il ne m’est pas permis d’être aussi libre que vous, qui êtes mort, et qui pouvez tout dire impunément ; mais je pourrais vous donner au moins des lumières sur le siége de Prague, qui vous feraient changer de pensée. Vous ne pourriez nier que les sorties n’aient été de véritables batailles, et que la retraite n’ait été glorieuse.

Je ne sais pas ce que le cardinal de Fleury et le général dont vous parlez vous ont fait ; mais il me semble, monseigneur, qu’un bon chrétien comme vous, qu’un cardinal devait en mourant se réconcilier avec ses ennemis. Il semble que votre testament ait été fait ab irato : cela seul suffirait pour l’invalider.

Ce testament sera plus utile aux politiques qu’aux historiens. Le testateur est loin de tomber dans la faute absurde du faussaire qui prit le nom du cardinal de Richelieu. Ce faussaire malhabile, en faisant parler le plus grand ministre de l’Europe dans la crise de la guerre avec l’empereur et le roi d’Espagne, ne dit pas un mot de la manière dont la France devait se conduire avec ses alliés et avec ses ennemis. C’était un étrange contraste de voir le cardinal de Richelieu passer sous silence les négociations, les intérêts de tous les princes, pour parler de l’Université et de la gabelle. C’est ici tout le contraire. L’auteur entre dans les intérêts de tous les potentats : il fait à chacun leur part ; il arrange le monde à son gré, et se met à la place de la Providence. Il parle de tout ce qu’on aurait pu faire, de tout ce qui pourrait arriver : c’est le recueil des futurs contingents.

On ne voit dans cet écrit aucune notion simple et commune. Il y est dit que lorsque l’empereur Charles VII était sans États et sans armée, il aurait dû mettre la reine de Hongrie au ban de l’empire. Il paraît cependant que, quand on rend un pareil arrêt, il faut avoir cent mille huissiers aguerris pour le signifier.

Au reste, jamais testament ne contint des legs plus considérables. Le cardinal donne et lègue la Bohême à l’électeur de Saxe ; le duché de Zell, au duc de Cumberland ; le Tyrol et la Carinthie, à l’électeur de Bavière ; le Brisgau, avec les villes forestières, au duc des Deux-Ponts ; et le duché des Deux-Ponts, à l’électeur palatin. Cela ressemble au testament que Cérisantes le Gascon fit à Naples, du temps du duc de Guise. Il légua à ce prince ses pierreries et sa vaisselle d’or, cent mille écus aux jésuites, autant à un hôpital ; il fonda un collège et une bibliothèque publique. Il n’avait pas de quoi se faire enterrer.

FIN DE L’EXAMEN.