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LE TOMBEAU

dans le monde, et de faire son chemin dans l’Église, comme les autres, porta d’abord, selon l’usage, sa thèse manuscrite à examiner au professeur Hock, qui devait être son président ; au syndic Dugard, chanoine de Notre-Dame ; au chanoine de Saint-Benoît, Langlé, grand maître des études, qui l’examinèrent scrupuleusement, l’approuvèrent, la munirent de leur seing, selon les formalités d’usage ; après quoi elle fut imprimée, et le candidat en distribua quatre cent cinquante exemplaires aux autres docteurs plusieurs jours avant l’action. Outre les examinateurs, il y a encore des censeurs au nombre de douze ; le bachelier leur porta sa thèse imprimée : aucun d’eux n’y trouva le moindre objet de censure ; il la soutint enfin, le 18 novembre 1751, avec l’approbation universelle ; les censeurs signèrent avec éloge ; les docteurs reçurent l’argent que les répondants donnent en pareil cas. M. l’abbé de Prades allait être reçu licencié, et même obtenir le premier lieu, comme celui de toute la licence qui s’était le plus distingué. Il n’avait qu’un seul reproche à se faire, c’était de s’être laissé emporter au zèle aveugle de la Sorbonne contre quelques opinions de MM. de Buffon et de Montesquieu, qu’il qualifia trop durement : il s’exposait par là à déplaire aux plus honnêtes gens du royaume ; mais il ne s’attendait pas que la Sorbonne dût le punir d’avoir pris sa défense avec trop de vigueur, ni qu’elle eût jamais l’audace et la bassesse de proscrire une thèse qu’elle avait adoptée avec solennité, dont elle seule devait répondre, et qui était devenue son propre ouvrage, selon ses statuts.

Pour connaître le principe de cette étonnante contrariété, il est nécessaire d’expliquer ce qui se passait alors.

Une société de vrais savants entreprit, il y a quelques années, le Dictionnaire de l’Encyclopédie. Tout le public, et en particulier les libraires, étaient imbus de l’idée que cet ouvrage devait faire tomber le Dictionnaire de Trévoux, qu’on achetait faute d’autres, quoiqu’on en connût l’insuffisance et les fautes grossières.

Malheureusement ce sont les pères jésuites qui sont en grande partie les auteurs de ce Dictionnaire de Trévoux, qui ne laisse pas de leur rapporter quelque émolument : dès qu’ils entendirent parler de l’Encyclopédie, ils la décrièrent ; mais sitôt qu’ils virent le crédit qu’elle prenait, ils voulurent y travailler ; ils se proposèrent pour la théologie et pour la morale ; on ne voulut ni d’une théologie ni d’une morale de jésuites. Les libraires sentirent très-bien que cela seul décréditerait leur livre, qui les constitue en des frais immenses. Quel est le libraire qui voudra sacrifier cent mille écus aux jésuites ? Ceux-ci, étant éconduits, font jouer tous