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LE TOMBEAU

ils avaient prié l’abbé de Prades de leur fournir quelques articles qui regardent cette étude : il en donna en effet plusieurs, tels que celui de Certitude, dans lequel la philosophie la plus sage sert de base à la théologie la plus exacte. Que font alors les jésuites ? la thèse de cet abbé tombe entre leurs mains : il est aisé de trouver partout des hérésies ; on en trouverait dans l’Oraison dominicale, et si quelqu’un disait aujourd’hui pour la première fois : Ne nous induisez point en tentation, il suffirait d’une cabale pour faire condamner au feu cette prière. Les jésuites répandent le bruit, par leurs fidèles émissaires, que la thèse de l’abbé de Prades est impie ; que c’est l’ouvrage de tous les auteurs de l’Encyclopédie, que c’est un complot pour ruiner la religion chrétienne.

Les pères, exclus de la faculté, y entretiennent toujours des intelligences, comme on fait dans une ville ennemie qu’on veut surprendre : ils s’adressent à un vieux docteur nommé Lerouge, ancien syndic et approbateur de leur Journal de Trévoux, et leur créature. Le P. Dupré lui dit : « Il faut dénoncer à la Sorbonne la thèse qu’on y a soutenue. » Lerouge représente au P. Dupré et aux autres quelle honte ce serait pour lui, et quel affront à la Sorbonne, d’accuser d’impiété une thèse devenue celle de tout le corps par ses statuts. Les jésuites insistent ; ils tronquent et tordent des propositions ; ils donnent par écrit à Lerouge ce qui regarde les guérisons opérées par Jésus-Christ. « Vous voyez, disent-ils, qu’on les compare à celles d’Esculape. — Hélas ! mes pères, répond l’abbé Lerouge, on ne dit là que ce que j’ai dit moi-même dans mon Traité dogmatique sur les miracles[1], et qu’a soutenu le docteur dom Lataste, bénédictin, évêque de Bethléem[2], et cent autres docteurs : ils prétendent que tout ce qui distingue les guérisons opérées par Jésus-Christ, c’est qu’elles ont été prédites ; que c’est ce qui discerne seul les opérations de Dieu d’avec celles qu’on impute à d’autres puissances : que toute l’antiquité et la Bible même attestent les miracles des enchanteurs et des démons ; qu’on a cru aux miracles d’Esculape, de Vespasien, d’Apollonius de Tyane, ainsi qu’aux oracles. Il n’y a donc point d’autre moyen d’assurer la mission de Jésus-Christ et de distinguer ses miracles que de recourir aux prophéties : c’est la seule manière même dont la Sorbonne, et vous, avez réfuté les miracles de saint Médard. »

  1. Lerouge, docteur de Sorbonne, est auteur d’un Traité dogmatique sur les faux miracles du temps, 1737, in-4o. (B.)
  2. L’écrit de dom La Taste est intitulé Lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions et autres miracles du temps, deux volumes in-4o. Ces lettres, écrites de 1733 à à 1740, sont au nombre de vingt et une. (B.)