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DE M. DE CRKBILLOX. 363

le plus de gloire Oii le plus de rlfliciilc, II n'en est pas d'une tra- gédie comme d'une épître, d'une ode. On ne récite point en public l'ocle de Boileau sur la Prise de Xaymir, ni ses satires sur PEqrii- voque et sur l'Amour de Dieu, devant deux mille personnes assem- blées pour approuver ou pour condamner.

Un ouvrage en vers, quel qu'il soit, n'est guère connu que d'un petit nombre d'amateurs : il est d'ordinaire mis au rang des choses frivoles dont la nation est inondée ; mais les spectacles sont une partie de l'administration publique; ils se donnent par l'ordre du roi, sous l'inspection des officiers de la couronne et des magistrats; ils exigent des frais immenses. C'est à la fois un objet de commerce, de police, d'étude, déplaisir, d'instruction, et de gloire. Il rassemble les citoyens, il attire les étrangers, et par là il devient une chose importante. Tout cela fait que le succès est plus brillant en ce genre que dans tout autre; mais aussi la chute est plus ignominieuse, étant plus éclairée. C'est un triomphe ou une espèce d'esclavage. Il s'agit encore d'une rétribution assez honnête pour tirer un homme de la pauvreté; ainsi, un auteur dramatique flotte pour l'ordinaire entre la fortune et l'indigence, entre le mépris et la gloire.

Ce sont ces deux puissants motifs qui ont toujours produit des haines si vives entre tous ceux qui ont travaillé pour le théâtre, depuis Aristophane jusqu'à nous. Ce fut l'unique source de ces abominables couplets dans lesquels M. de Crébillon fut désigné si scandaleusement par Rousseau, qui ne pouvait digérer le succès d'Idoménèe, (ÏAtrée et d'Electre, tandis qu'il voyait tomber toutes ses comédies : figulus figulo invidet est un proverbe de tous les temps et de toutes les nations ^

Il est vrai que ce proverbe n'a pas eu lieu entre M. de Voltaire et M. de Crébillon : c'est même une chose assez singulière que M. de Voltaire, ayant traité Sèmiramis, Electre et Catilina, et s'étant ainsi trouvé trois fois eu concurrence avec lui -, l'ait loué toujours publiquement, et lui ait même donné plusieurs marques d'amitié. Ils n'ont jamais eu aucun démêlé ensemble. Cela est rare entre des gens de lettres qui courent la même carrière.

1. Voyez tome XVIH, page 557.

2. Depuis la mort de Crébillon, Voltaire s'est mis une quatrième fois en con- currence avec lui ; voyez les Pélopides, tome VI du Théâtre.

��FIN DE LELOGE DE CREBILLON.

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