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SUR LA MORT DES SIEURS CALAS. 373

Ces discours me soutenaient un peu dans mon accablement.

Toutes ces idées de consolation ont été bien vaines. La nou- velle arriva, au mois de mars, du supplice de mon père. Une lettre qu'on voulait me cacher, et que j'arrachai, m'apprit ce que je n'ai pas la force d'exprimer, et ce qu'il vous a fallu si souvent entendre.

Soutenez-moi, ma mère, dans ce moment où je vous écris en tremblant, et donnez-moi votre courage : il est égal à votre hor- rible situation. Vos enfants dispersés, votre fils aîné mort à vos yeux, votre mari, mon père, expirant du plus cruel des supplices, votre dot perdue, l'indigence et l'opprobre succédant à la consi- dération et à la fortune : voilà donc votre état! mais Dieu vous reste, il ne vous a pas abandonnée ; l'honneur de mon père vous est cher; vous bravez les horreurs de la pauvreté, de la maladie, de la honte même, pour venir de deux cents lieues implorer au pied du trône la justice du roi. Si vous parvenez à vous faire en- tendre, vous l'obtiendrez sans doute.

Que pourrait-on opposer aux cris et aux larmes d'une mère et d'une veuve, et aux démonstrations de la raison ? Il est prouvé que mon père ne vous a pas quittée, qu'il a été constamment avec vous et avec tous les accusés dans^ l'appartement d'en haut, tandis que mon malheureux frère était mort au bas de la maison. Cela sufût. On a condamné mon père au dernier et au plus af- freux des supplices ; mon frère est banni par un second jugement; et, malgré son bannissement, on le met dans un couvent de jaco- bins de la même ville. Vous êtes hors de cour, Lavaisse hors de cour. Personne n'a conçu ces jugements extraordinaires et con- tradictoires. Pourquoi mon frère n'est-il que banni, s'il est cou- pable du meurtre de son frère ? Pourquoi, s'il est banni du Languedoc, est-il enfermé dans un couvent de Toulouse? On n'y comprend rien. Chacun cherche la raison de ces arrêts et de cette conduite, et personne ne la trouve.

Tout ce que je sais, c'est que les juges, sur des indices trom- peurs, voulaient condamner tous les accusés au supplice, et qu'ils se contentèrent de faire périr mon père, dans l'idée où ils étaient que cet infortuné avouerait, en expirant, le crime de toute la famille. Ils furent étonnés, m'a-t-on dit, quand mon père, au milieu des tourments, prit Dieu à témoin de son innocence et de la vôtre, et mourut en priant ce Dieu de miséricorde de faire grâce à ces juges de rigueur que la calomnie avait trompés.

Ce fut alors qu'ils prononcèrent l'arrêt qui vous a rendu la liberté, mais qui ne vous a rendu ni vos biens dissipés, ni votre

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