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SUR LA MORT DES SIEURS CALAS. 3-5

les termes. L'excès de l'horreur dont on vous a chargée ne sert qu'à mettre au jour l'excès de votre malheur et de votre vertu. Vous demandez à présent ou la mort ou la justification de mon père; je me joins à vous, et je demande la mort avec vous si mon père est coupable.

Obtenez seulement que les juges produisent le procès crimi- nel : c'est tout ce que je veux, c'est ce que tout le monde désire, et ce qu'on ne peut refuser. Toutes les nations, toutes les reli- gions, y sont intéressées, La justice est peinte un bandeau sur les yeux, mais doit-elle être muette? Pourquoi, lorsque fEurope demande compte d'un arrêt si étrange, ne s'em presse- t-on pas à le donner?

C'est pour le public que la punition des scélérats est décernée : les accusations sur lesquelles on les punit doivent donc être pu- bliques. On ne peut retenir plus longtemps dans l'obscurité ce qui doit paraître au grand jour. Quand on veut donner quelque idée des tyrans de l'antiquité, on dit qu'ils décidaient arbitraire- ment de la vie des hommes. Les juges de Toulouse ne sont point des tyrans, ils sont les ministres des lois, ils jugent au nom d'un roi juste; s'ils ont été trompés, c'est qu'ils sont hommes : ils peuvent le reconnaître, et devenir eux-mêmes vos avocats auprès du trône.

Adressez-vous donc à monsieur le chancelier*, à messieurs les ministres, avec confiance. Vous êtes timide, vous craignez de parler; mais votre cause parlera. Ne croyez point qu'à la cour on soit aussi insensible, aussi dur, aussi injuste que l'écrivent d'im- pudents raisonneurs, à qui les hommes de tous les états sont également inconnus. Le roi veut la justice : c'est la base de son

��1. M. le chancelier se souviendra sans doute de ces paroles de M. d'Aguesseau son prédécesseur, dans sa dix-septième mercuriale : « Qui croirait qu'une première impression pût décider quelquefois de la vie et delà mort? Un amas fatal de cir- constances, qu'on dirait que la fortune a assemblées pour faire périr un malheu- reux, une foule de témoins muets , et par là plus redoutables , semblent déposer contre l'innocence; le juge se prévient, son indignation s'allume, et son zèle même le séduit. Moins juge qu'accusateur, il ne voit plus que ce qui sert à condamner, et il sacrifie aux raisonnements de l'homme celui qu'il aurait sauvé s'il n'avait admis que les preuves de la loi. Un événement imprévu fait quelquefois éclater dans la suite l'innocence accablée sous le poids des conjectures, et dément ces indices trompeurs dont la fausse lumière avait ébloui l'esprit du magistrat. La vérité sort du nuage de la vraisemblance; mais elle en sort trop tard: le sang de l'innocent demande vengeance contre la prévention de son juge, et le magisti-at est réduit à pleurer toute sa vie un malheur que son repentir ne peut plus réparer. » {Noie de Voltaire.) — En 1762, le chancelier était Guillaume H de Lamoignon,. né en 1683, chancelier en 1750, mort en 1772. (B.)

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