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DE PIERRE CALAS. 393

Je dépose et je promets de déposer juridiquement ce qui suit :

Le jeune Gobert Lavaisse, âgé de dix-neuf à vingt ans, jeune homme des mœurs les plus douces, élevé dans la vertu par son père, célèbre avocat, était l'ami de Marc-Antoine, mon frère; et ce frère était un homme de lettres, qui avait étudié aussi pour être avocat. Lavaisse soupa avec nous, le 13 octobre 1761, comme on l'a dit*. Je m'étais un peu endormi après le souper, au temps que le sieur Lavaisse voulut prendre congé. Ma mère me réveilla, et me dit d'éclairer notre ami avec un flambeau.

On peut juger de mon horrible surprise quand je vis mon frère suspendu, en chemise, aux deux battants de la porte de la boutique qui donne dans le magasin. Je poussai des cris affreux; j'appelai mon père; il descend éperdu; il prend à brasse-corps son malheureux fils, en faisant glisser le bâton et la corde qui le soutenaient; il ôte la corde du cou, en élargissant le nœud; il tremblait, il pleurait, il s'écriait dans cette opération funeste : « Va, me dit-il, au nom de Dieu, chez le chirurgien Camoire, notre voisin; peut-être mon pauvre fils n'est pas tout à fait mort. »

Je vole chez le chirurgien ; je ne trouve que le sieur Gorse, son garçon, et je l'amène avec moi. Mon père était entre ma mère et un de nos voisins, nommé Delpech, fils d'un négociant catho- lique, qui pleurait avec eux. Ma mère tâchait en vain de faire avalera mon frère des eaux spiritueuses, et luifrottait les tempes. Le chirurgien Gorse lui tâte le pouls et le cœur; il le trouve mort et déjà froid; il lui ôte son tour de cou qui était de taffetas noir; il voit l'impression d'une corde, et prononce qu'il est étranglé.

Sa chemise n'était pas seulement froissée, ses cheveux ar- rangés comme à l'ordinaire, et je vis son habit proprement plié sur le comptoir. Je sors pour aller partout demander conseil. Mon père, dans l'excès de sa douleur, me dit : a Ne va pas répandre le bruit que ton frère s'est défait lui-même; sauve au moins l'hon- neur de ta misérable famille. » Je cours, tout hors de moi, chez le sieur Caseing, ami de la maison, négociant qui demeurait à la Bourse; je l'amène au logis: il nous conseille d'avertir au plus vite la justice. Je vole chez le sieur Clausade, homme de loi ; Lavaisse court chez le greffier des capitouls, chez l'assesseur maître Monier. Je retourne en hâte me rendre auprès de mon père, tandis que Lavaisse et Clausade faisaient relever l'assesseur, qui était déjà couché, et qu'ils vont avertir le capitoul lui-même.

1. Voyez pages 367 et 386.

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