Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/404

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

394 DECLARATION

Le capitoiil était déjà parti, sur la rumeur publique, pour se rendre chez nous. Il entre avec quarante soldats; j'étais en bas pour le recevoir; il ordonne qu'on me garde.

Dans ce moment même, l'assesseur arrivait avec les sieurs Clausade et Lavaisse. Les gardes ne voulurent point laisser entrer Lavaisse, et le repoussèrent : ce ne fut qu'en faisant beaucoup de bruit, en insistant, et en disant qu'il avait soupe avec la famille, qu'il obtint du capitoul qu'on le laissât entrer.

Quiconque aura la moindre connaissance du cœur Immain verra bien par toutes ces démarches quelle était notre innocence : comment pouvait-on la soupçonner? A-t-on quelque exemple, dans les annales du monde et des crimes, d'un pareil parricide, commis sans aucun dessein, sans aucun intérêt, sans aucune cause?

Le capitoul avait mandé le sieur Latour, médecin, et les sieurs Lamarque et Perronet, chirurgiens ; ils visitèrent le cadavre en ma présence, cherchèrent des meurtrissures sur le corps, et n'en trouvèrent point. Ils ne visitèrent point la corde : ils firent un rapport secret, seulement de bouche, au capitoul ; après quoi ou nous mena tous à l'hôtel de ville, c'est-à-dire mon père, ma mère, le sieur Lavaisse, le sieur Caseing notre ami, la servante, et moi. On prit le cadavre et les habits, qui furent portés aussi à l'hôtel de ville.

Je voulus laisser un flambeau allumé dans le passage, au bas de la maison, pour retrouver de la lumière à notre retour. Telle était ma sécurité et celle de mon père que nous pensions être menés seulement à l'hôtel de ville pour rendre témoignage à la vérité, et que nous nous flattions de revenir coucher chez nous : mais le capitoul, souriant de ma simplicité, fit éteindre le flam- beau, en disant que nous ne reviendrions pas sitôt. Mon père et moi nous fûmes mis dans un cachot noir; ma mère, dans un cachot éclairé, ainsi que Lavaisse, Caseing, et la servante. Le procès-verbal du capitoul, et celui des médecins et chirurgiens, furent faits le lendemain à l'hôtel.

Caseing, qui n'avait point soupe avec nous, fut bientôt élargi; nous fûmes, tous les autres, condamnés à la question, et mis aux fers, le 18 novembre. Nous en appelâmes au parlement, qui cassa la sentence du capitoul, irrégulière en plusieurs points, et qui continua les procédures.

On m'interrogea plus de cinquante fois : on me demanda si mon frère Marc-Antoine devait se faire catholique. Je répondis que j'étais sûr du contraire; mais qu'étant homme de lettres et

�� �