Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chasserai, ou tu te perdras, tu périras » ; mais fallait-il qu’un témoin, fanatique impétueux, donnât une interprétation dénaturée à ces paroles paternelles, et qu’il substituât méchamment aux mots : Si tu ne changes de conduite, ces mots cruels : Si tu changes de religion? Fallait-il que les juges, entre un témoin inique et un père accusé, décidassent en faveur de la calomnie contre la nature ?

Il n’y eut contre nous aucun témoin valable; et on s’en apercevra bien à la lecture du procès-verbal, si on peut parvenir à tirer ce procès du greffier, qui a eu défense d’en donner communication.

Tout le reste est exactement conforme à ce que ma mère et mon frère Donat Calas ont écrit. Jamais innocence ne fut plus avérée. Des deux jacobins qui assistèrent au supplice de mon père, l’un, qui était venu de Castres, dit publiquement:// est mort un juste. Sur quoi donc, me dira-t-on, votre père a-t-il été condamné? Je vais le dire, et on va être étonné.

Le capitoul, l’assesseur M. Monier, le procureur du roi, l’avocat du roi, étaient venus, quelques jours après notre détention, avec un expert, dans la maison où mon frère Marc-Antoine était mort : quel était cet expert? pourra-t-on le croire ? c’était le bourreau. On lui demanda si un homme pouvait se pendre aux deux battants de la porte du magasin où j’avais trouvé mon frère. Ce misérable, qui ne connaissait que ses opérations, répondit que la chose n’était pas praticable. C’était donc une affaire de physique ? Hélas ! l’homme le moins instruit aurait vu que la chose n’était que trop aisée ; et Lavaisse, qu’on peut interroger avec moi, en avait vu de ses yeux la preuve bien évidente.

Le chirurgien Lamarque, appelé pour visiter le cadavre, pouvait être indisposé contre moi parce qu’un jour, dans un de ses rapports juridiques, ayant pris l’œil droit pour l’œil gauche, j’avais relevé sa méprise. Ainsi mon père fut sacrifié à l’ignorance autant qu’aux préjugés. Il s’en fallut bien que les juges fussent unanimes ; mais la pluralité l’emporta.

Après cette horrible exécution les juges me firent comparaître ; l’un d’eux me dit ces mots : « Nous avons condamné votre père; si vous n’avouez pas, prenez garde â vous. » Grand Dieu ! que pouvais-je avouer, sinon que des hommes trompés avaient répandu le sang innocent?

Quelques jours après, le P. Bourges, l’un des deux jacobins qu’on avait donnés à mon père pour être les témoins de son supplice et de ses sentiments, vint me trouver dans mon cachot,