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DE PIERRE CALAS. 397

et me menaça du même genre de mort si je n'al)jurais pas. Peut- être qu'autrefois, dans les persécutions exagérées dont on nous parle, un proconsul romain, revêtu d'un pouvoir arbitraire, se serait expliqué ainsi. J'avoue que j'eus la faiblesse de céder à la crainte d'un supplice épouvantable.

Enfin on vint m'annoncer mon arrêt de bannissement; il était resté quatre jours sur le bureau sans être signé. Que d'irré- gularités ! que d'incertitudes ! La main des juges devait trembler de signer quelque arrêt que ce fût, après avoir signé la mort de mon père. Le greffier de la geôle me lut seulement deux lignes du mien.

Quant à l'arrêt qui livra mon vertueux père au plus affreux supplice, je ne le vis jamais; il ne fut jamais connu : c'est un mystère impénétrable. Ces jugements sont faits pour le public^ ; ils étaient autrefois envoyés au roi, et n'étaient point exécutés sans son approbation : c'est ainsi qu'on en use encore dans une grande partie de l'Europe. Mais pour le jugement qui a con- damné mon père, on a pris, si j'ose m'exprimer ainsi, autant de soin de le dérober à la connaissance des bommes que les cri- minels en prennent ordinairement de cacher leurs crimes.

Mon jugement me surprit, comme il a surpris tout le monde: car si mon malheureux frère avait pu être assassiné, il ne pou- vait l'avoir été que par moi et par Lavaisse, et non par un vieillard faible. C'est à moi que le plus horrible supplice aurait été dû.

On voit assez qu'il n'y avait point de milieu entre le parricide et l'innocence.

Je fus conduit incontinent à une porte de la ville; un abbé m'y accompagna, et me fit rentrer le moment d'après au couvent des jacobins : le P. Bourges m'attendait à la porte; il me dit qu'on ne ferait aucune attention à mon bannissement si je professais la foi catholique romaine ; il me fit demeurer quatre mois dans ce monastère, où je fus gardé à vue.

Je suis échappé enfin de cette prison, prêt à me remettre dans celle que le roi jugera à propos d'ordonner, et disposé à verser mon sang pour l'honneur de mon père et de ma mère.

Le préjugé aveugle nous a perdus; la raison éclairée nous plaint aujourd'hui; le public, juge de l'honneur et de la honte, réhabilite la mémoire de mon père ; le conseil confirmera l'arrêt du public, s'il daigne seulement voir les pièces. Ce n'est point ici un de ces procès qu'on laisse dans la poudre d'un greffe, parce

1. Voyez page 373.

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