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DOUTES SUR L’HISTOIRE

La donation de Charlemagne n’est guère moins suspecte, puisque ni Andelme, ni Aimoin, ni même Éginhard, secrétaire de ce monarque, n’en parlent pas. Éginhard fait un détail très-circonstancié des legs pieux que laissa Charlemagne par son testament à toutes les églises de son royaume. « On sait, dit-il, qu’il y a vingt et une villes métropolitaines dans les États de l’empereur. » Il met Rome la première, et Ravenne la seconde. N’est-il pas certain, par cet énoncé, que Rome et Ravenne n’appartenaient point aux papes ?

II.

Quel fut précisément le pouvoir de Charlemagne dans Rome ? C’est sur quoi on a tant écrit qu’on l’ignore. Y laissa-t-il un gouverneur ? Imposait-il des tributs ? Gouvernait-il Rome comme l’impératrice[1] reine de Hongrie gouverne Milan et Rruxelles ? C’est de quoi il ne reste aucun vestige.

III.

Je regarde Rome, depuis le temps de l’empereur Léon l’Isaurien, comme une ville libre, protégée par les Francs, ensuite par les Germains, qui se gouverna tant qu’elle put en république, plutôt sous le patronage que sous la puissance des empereurs ; dans laquelle le souverain pontife eut toujours le premier crédit, et qui enfin a été entièrement soumise aux papes.

IV.

Les prêtres ne se mariaient pas dans ce temps-là : je le veux croire. Tous les canons leur défendent le mariage. On craignit que les gros bénéfices ne devinssent héréditaires. Et les curés (surtout les curés de campagne), qui consument leurs jours dans les travaux pénibles, furent privés de cette consolation.

L’État y perdit de bons citoyens : on ne voit guère de meilleure éducation que celle des enfants des pasteurs en Angleterre, en Allemagne, en Suède, en Danemark, en Hollande. Des vues supérieures ont astreint l’Église romaine à des lois plus austères. Mais d’où vient qu’il est dit que le chantre de Saint-Jean de Latran et son fils étaient dans Rome à la tête d’un parti, du temps du pape Étienne III ? D’où vient que le pape Formose était fils d’un prêtre ? D’où vient qu’Étienne VII, Jean XV, étaient fils d’un prêtre ? Rien ne nous apprend que leurs pères avaient quitté ou perdu leurs femmes avant d’entrer dans les ordres.

  1. Marie-Thérèse, femme de l’empereur François Ier.