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RELATION D'UN VOYAGE

L’Empyrée[1] était le beau nom
Que lui donna l’ami Piron ;
Et c’est à présent sa demeure.

Dès que j’arrivai à Limoges, je rencontrai le petit-fils de M. de Pourceaugnac ; il était instruit de ma fête ; il me dit qu’elle ressemblait parfaitement au repas bien troussé[2] que M. son grand-père avait donné. Nous nous séparâmes à regret l’un de l’autre.

Quand j’arrivai à Orléans, je trouvai que la plupart des chanoines savaient déjà par cœur les endroits les plus remarquables de mon discours. Je me hâtai d’arriver à Fontainebleau, et j’allai le lendemain au lever du roi, accompagné de M. Fréron, que j’avais mandé exprès. Dès que le roi nous vit, il nous adressa gracieusement la parole à l’un et à l’autre. « Monsieur le marquis, me dit Sa Majesté, je sais que vous avez à Pompignan autant de réputation qu’en avait à Cahors votre grand-père le professeur. N’auriez-vous point sur vous ce beau sermon de votre façon qui a fait tant de bruit ? » J’en présentai alors des exemplaires au roi, à la reine, à M. le dauphin. Le roi se fit lire à haute voix, par son lecteur ordinaire, les endroits les plus remarquables. On voyait la joie répandue sur tous les visages ; tout le monde me regardait en rétrécissant les yeux, en retirant doucement vers les joues les deux coins de la bouche, et en mettant les mains sur les côtés, ce qui est le signe pathologique de la joie. « En vérité, dit M. le dauphin, nous n’avons en France que M. le marquis de Pompignan qui écrive de ce style.

Allez-vous souvent à l’Académie ? me dit le roi. — Non, sire, lui répondis-je. — L’Académie va donc chez vous ? » reprit le roi (c’était précisément le même discours que Louis XIV avait tenu à Despréaux). Je répondis que l’Académie n’est composée que de libertins et de gens de mauvais goût, qui rendent rarement justice au mérite. « Et vous, dit le roi à M. Fréron, n’êtes-vous pas de l’Académie ? — Pas encore », répondit M. Fréron. Il eut alors l’honneur de présenter ses feuilles à la famille royale, et je restai à causer avec le roi, « Sire, lui dis-je, vous connaissez ma bibliothèque ? — Oh tant ! dit le roi, vous m’en avez tant parlé dans un de vos beaux mémoires… »

  1. M. de l’Empyrée est le nom que Piron a donné au principal personnage de la Métromanie ; mais l’anecdote arrivée à Voltaire avec Desforges-Maillard est pour quelque chose dans la pièce. Pompignan n’y fut pour rien.
  2. Monsieur de Pourceaugnac, acte I, scène vi.