Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
PRÉFACE.

— Mais, lui dis-je, si, parmi tant de matériaux brutes et informes, vous choisissiez de quoi vous faire un édifice à votre usage ; si, en retranchant tous les détails des guerres, aussi ennuyeux qu’infidèles, toutes les petites négociations, qui n’ont été que des fourberies inutiles, toutes les aventures particulières, qui étouffent les grands événements ; si, en conservant celles qui peignent les mœurs, vous faisiez de ce chaos un tableau général et bien articulé ; si vous cherchiez à démêler dans les événements l’histoire de l’esprit humain, croiriez-vous avoir perdu votre temps ? »

Cette idée la détermina ; et c’est sur ce plan que je travaillai. Je fus d’abord étonné du peu de secours que je trouvai dans la multitude immense des livres.

Je me souviens que quand nous commençâmes à ouvrir Puffendorf, qui avait écrit dans Stockholm[1], et à qui les archives de l’État furent ouvertes, nous nous assurions d’y trouver quelles étaient les forces de ce pays, combien il nourrissait d’habitants, comment les peuples de la province de Gothie s’étaient joints à ceux qui ravagèrent l’empire romain, comment les arts s’introduisirent en Suède dans la suite des temps, quelles étaient ses lois principales, ses richesses, ou plutôt sa pauvreté : nous ne trouvâmes pas un mot de ce que nous cherchions.

Lorsque nous voulûmes nous instruire des prétentions des empereurs sur Rome, et de celles des papes contre les empereurs, nous ne trouvâmes que confusion et obscurité ; de sorte que dans tout ce que j’écrivais, je mettais toujours à la marge : Vide, quære, dubita[2]. C’est ce qui est encore en gros caractères dans cent endroits de mon ancien manuscrit de l’année 1740, surtout quand il s’agit des donations de Pépin et de Charlemagne, et des disputes de l’Église romaine et de l’Église grecque.

Presque rien de ce que les Occidentaux ont écrit sur les peuples d’Orient avant les derniers siècles ne nous paraissait vraisemblable ; et nous savions combien, en fait d’histoire, tout ce qui est contre la vraisemblance est presque toujours contre la vérité.

La seule chose qui me soutenait dans des recherches si ingrates était ce que nous rencontrions de temps en temps sur les arts et sur les sciences. Cette partie devint notre principal objet. Il était aisé de s’apercevoir que dans nos siècles de barbarie et d’igno-

  1. Commentarii de rebus suecicis ab expeditione Gustavi-Adolphi usque ad abdicationem Christinæ, 1686, in-folio ; et De Rebus vestis Caroli-Gustavi, 1693, 1729, deux volumes in-folio. (B.)
  2. Vois, cherche, doute.