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PRÉFACE.

rance, qui suivirent la décadence et le déchirement de l’empire romain, nous reçûmes presque tout des Arabes : astronomie, chimie, médecine, et surtout des remèdes plus doux et plus salutaires que ceux qui avaient été connus des Grecs et des Romains. L’algèbre est de l’invention de ces Arabes ; notre arithmétique même nous fut apportée par eux. Ce furent deux Arabes, Haran et Bensaïd, qui travaillèrent aux Tables Alphonsines. Le shérif Ben-Mohamed, qu’on appelle le Géographe de Nubie, chassé de ses États, porta en Sicile, au roi Roger II, un globe d’argent de huit cents marcs, sur lequel il avait gravé la terre connue, et corrigé Ptolémée.

Il fallut donc rendre justice aux Arabes, quoiqu’ils fussent mahométans, et avouer que nos peuples occidentaux étaient très-ignorants dans les arts, dans les sciences, ainsi que dans la police des États, quoique éclairés des lumières de la vérité sur des choses plus importantes. Si quelques personnes ont eu la mauvaise foi de blâmer cette équité, et de vouloir la rendre odieuse, elles sont bien à plaindre d’être si indignes du siècle où elles vivent.

Plusieurs morceaux de la poésie[1] et de l’éloquence arabe me parurent sublimes, et je les traduisis ; ensuite quand nous vîmes tous les arts renaître en Europe par le génie des Toscans, et que nous lûmes leurs ouvrages, nous fûmes aussi enchantés que nous l’étions quand nous lisions les beaux morceaux de Milton, d’Addison, de Dryden, et de Pope. Je fis, autant que je le pus, des traductions exactes en vers des meilleurs endroits des poëtes des nations savantes[2] ; je tâchai d’en conserver l’esprit. En un mot, l’histoire des arts eut la préférence sur l’histoire des faits.

Tous ces matériaux concernant les arts ayant été perdus après la mort de cette personne si respectable, ni mon âge, ni l’éloignement des grandes bibliothèques, ni l’affaiblissement des talents, qui est la suite des longues maladies, ne m’ont pas permis de recommencer ce travail pénible. Il se trouve heureusement exécuté par des mains plus habiles, manié avec profondeur, et rédigé avec ordre dans l’immortel ouvrage de l’Encyclopédie. Je ne peux regretter que les traductions eu vers des meilleurs morceaux de tous les grands poètes depuis le Dante : car on ne les connaît point du tout dans les traductions en prose.

Il est public que plusieurs personnes eurent des copies de

  1. Voyez tome XI, page 215 ; et tome XII, page 62.
  2. Voyez tome XII, pages 58 et 59.