Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/527

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ravagé la terre dans l’esprit républicain qui anima les premières églises, les assemblées secrètes qui bravaient d’abord dans des grottes et dans des caves l’autorité des empereurs romains ? »

Et cela ne contrarie point ce qu’il dit ailleurs, chap. v [1] de son Essai sur les Mœurs, que le christianisme eut la liberté de s’étendre en secret sous les empereurs qui ont précédé Domitien : l’expression seule en secret établit un juste rapport entre les deux passages, et en éloigne toute apparence de contradiction ; parce qu’en effet, quoique les chrétiens fussent tolérés, et qu’ils eussent la liberté de praticiuer en secret leur culte et de l’étendre, ils n’en contrevenaient pas moins aux lois qui leur défendaient de s’assembler ; par conséquent ils les bravaient même sous les empereurs qui les protégeaient et jusqu’à ce que l’entière abolition de ces lois par Constantin fit du christianisme, que cet empereur plaça à côté du trône, la religion dominante.

Après cet éclaircissement, que monsieur l’observateur des erreurs dogmatiques et son apologiste nous permettent une question. N’est-ce que dans les temps où il a été défendu aux chrétiens de s’assembler qu’ils ont bravé l’autorité du souverain ? Sans parler d’une infinité d’autres, à votre avis, monsieur le théologien libelliste, les chrétiens de la Ligue qui portaient par ordre, et à l’exemple des ministres de l’Église, les armes et le crucifix contre Henri III et contre Henri IV ; celui qui, sortant du pied des autels, et son Dieu encore sur les lèvres, courut assassiner son maître; les monstres qui portèrent des mains sacrilèges sur le plus grand et le meilleur des rois du monde, et qui pour plaire à Dieu finirent par lui arracher la vie au milieu d’un peuple dont il était le père : que firent-ils ? étaient-ils des sujets soumis ? Trouverez-vous de la contradiction à dire qu’ils jouissaient, sous ces princes, de la plus grande liberté, et qu’ils bravaient leur autorité ?

Direz-vous de ces chrétiens furieux ce que vous dites, page 20 de votre premier volume, de celui qui osa déchirer l’édit de Dioclétien, « qu’à la vérité ces chrétiens furent imprudents, mais, après tout, généreux et zélés pour leur religion » ?

Vous ne pouviez guère faire un plus bel éloge d’une action aussi criminelle, si cet éloge pouvait séduire. « Qui est-ce qui ne préférerait pas à la prudence, la générosité, et le zèle pour sa religion ?» On sait assez que ces maximes furent celles de la Ligue ; et vous pouviez vous dispenser de nous prouver que s’il fut alors des théologiens assez malheureux pour les prêcher aux peuples dans la chaire qu’ils appellent de vérité, il en est encore qui ont bien de la peine à les oublier.

Mais comment osez-vous les reproduire parmi nous, ces maximes abominables ? Espérez-vous trouver encore dans les ténèbres de l’esprit humain des dispositions qui leur soient favorables ? Grâces aux soins de la philosophie, contre laquelle vous déclamez en vain, les hommes sont éclairés sue leurs devoirs, et vous ne trouverez plus de rebelles ni de parricides. Malgré vos efforts et vos persécutions, les philosophes, ces hommes que vous calomniez parce que vous les craignez, continueront de répandre la lumière ; ils

  1. Voyez la note 2 de la page 515.