Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/546

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lets. Europe, nage dans le sang, tandis que le vicaire de Dieu, Alexandre VI, souillé de meurtres et d’empoisonnements, dort dans les bras de sa fille Lucrèce ; que Léon X nage dans les plaisirs, que Paul III enrichit son bâtard des dépouilles des nations, que Jules III fait son porte-singe cardinal (dignité plus convenable encore au singe[1]1 qu’au porteur) ; tandis que Pie IV fait étrangler le cardinal Caraffe, que Pie V fait gémir les Romains sous les rapines de son bâtard Buon-Compagno ; que Clément VIII donne le fouet au grand Henri IV sur les fesses des cardinaux d’Ossat et Duperron. Mêlez partout le ridicule de vos farces italiennes à l’horreur de vos brigandages : et puis envoyez frère Trigaut et frère Bouvet prêcher la bonne nouvelle à la Chine.

LE CALOYER.

Je ne puis condamner votre zèle. La vérité, contre laquelle on se débat en vain, me force de convenir d’une partie de ce que vous dites ; mais enfin convenez aussi que, parmi tant de crimes, il y a eu de grandes vertus. Faut-il que les abus vous aigrissent, et que les bonnes lois ne vous touchent pas ? Ajoutez à ces bonnes lois des miracles qui sont la preuve de la divinité de Jésus-Christ.

L’HONNÊTE HOMME.

Des miracles ? juste ciel ! et quelle religion n’a pas ses miracles ? Tout est prodige dans l’antiquité. Quoi ! vous ne croyez pas aux miracles rapportés par les Hérodote et les Tite-Live, par cent auteurs respectés des nations, et vous croyez à des aventures de la Palestine racontées, dit-on, par Jean et par Marc, dans des livres ignorés pendant trois cents ans chez les Grecs et chez les Romains, dans des livres faits sans doute longtemps après la destruction de Jérusalem, comme il est prouvé par ces livres mêmes, qui fourmillent de contradictions à chaque page ! Par exemple, il est dit dans l’Évangile de saint Matthieu que le sang de Zacharie, fils de Barac, massacré entre le temple et l’autel, retombera sur les Juifs[2] ; or on voit dans l’histoire de Flavius Josèphe que ce Zacharie fut tué en effet entre le temple et l’autel pendant le siège de Jérusalem par Titus : donc cet Évangile ne fut écrit qu’après Titus. Et pourquoi Dieu aurait-il fait ces miracles ? Pour être condamné à la potence chez les Juifs ! Quoi ! il aurait ressuscité des morts, et il n’en eût recueilli d’autre fruit que de mourir lui-même, et de mourir du dernier supplice ! S’il eût

  1. Les Italiens de Rome le nommaient il cardinale simia. (B.)
  2. Matthieu, chapitre xxiii, 35 ; et Flavius Josèphe. Guerre des Juifs, liv. IV, chapitre xix.