Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/545

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phème. Quoi ! le soleil de Dieu est toujours le même, et sa religion serait une suite de vicissitudes ! Quoi ! tous le feriez ressembler à ces gouvernements misérables qui donnent tous les jours des édits nouveaux et contradictoires ! Il aurait donné un édit à Adam, un autre à Seth, un troisième à Noé, un quatrième à Abraham, un cinquième à Moïse, un sixième à Jésus, et de nouveaux édits encore à chaque concile ; et tout aurait changé, depuis la défense de manger du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, jusqu’à la bulle Unigenitus du jésuite Le Tellier[1] ! Croyez-moi, tremblez d’outrager Dieu en l’accusant de tant d’inconstance, de faiblesse, de contradiction, de ridicule, et même de méchanceté.

LE CALOYER.

Si toutes ces variations sont l’ouvrage des hommes, convenez que la morale au moins est de Dieu, puisqu’elle est toujours la même.

L’HONNÊTE HOMME.

Tenons-nous-en donc à cette morale ; mais que les chrétiens l’ont corrompue ! Qu’ils ont cruellement violé la loi naturelle enseignée par tous les législateurs, et gravée au cœur de tous les hommes !

Si Jésus a parlé de cette loi aussi ancienne que le monde, de cette loi établie chez le Huron comme chez le Chinois : Aime ton prochain comme toi-même[2] ; la loi des chrétiens a été : Déteste ton prochain comme toi-même[3]. Athanasiens, persécutez les eusébiens, et soyez persécutés ; cyrilliens, écrasez les enfants des nestoriens contre les murs ; guelfes et gibelins, faites une guerre civile de cinq cents années pour savoir si Jésus a ordonné au prétendu successeur de Simon Barjone de détrôner les empereurs et les rois, et si Constantin a cédé l’empire au pape Silvestre. Papistes, suspendez à des potences hautes de trente pieds[4], déchirez, brûlez des malheureux qui ne croient pas qu’un morceau de pâte soit changé en Dieu à la voix d’un capucin ou d’un récollet, pour être mangé sur l’autel par des souris si on laisse le ciboire ouvert. Poltrot, Balthasar Gérard, Jacques Clément, Châtel, Guignard, Ravaillac, aiguisez vos sacrés poignards, chargez vos saints pisto-

  1. Voyez, sur Le Tellier, tome XV, page 53 ; XVII, 177 ; XVIII, 379 ; XXI, 416 ; et dans le présent volume, pages 102, 256, 337.
  2. Matth., XIX, 19 ; xxii, 39 ; Marc, xii, 31 ; Luc, x, 27.
  3. Parodie des versets cités dans la note précédente, et sens des versets 21, 22, 35, 37 du chapitre x de saint Matthieu.
  4. Voyez le paragraphe 23 des Conseils raisonnables à M. Bergier.