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SUR LES MŒURS. o5i

filets de cet homme, quelque respectable qu'il soit ; il jugera que ses prétentions doivent semer partout la discorde, et s'il apprend ensuite toutes les révoltes, les assassinats, les empoisonnements, les guerres, lessaccagements, que cette querelle a causés: «Voilà, dira-t-il, un arbre qui devait nécessairement produire de tels fruits. »

S'il apprend encore que, dans les derniers siècles, il s'est joint à ces querelles une animosité violente de prêtre contre prêtre et de peuple contre peuple, sur des matières de controverse abso- lument incompréhensibles ; alors, quand il verra un duc de Guise, un prince d'Orange, deux rois de France assassinés, un roi d'Angleterre mourant sur l'échafaud, la France, l'Allemagne, l'An- gleterre, l'Irlande, ruisselantes de sang, et quatre à cinq cent mille hommes égorgés en différents temps au nom de Dieu, il frémira» mais il ne sera pas étonné.

Lorsqu'il aura lu ainsi l'histoire des tigres, s'il vient à des temps plus doux et plus éclairés, où un écrit qui insulte au bon sens produit plus de brochures que la Grèce et Rome ne nous ont laissé de livres, et où je ne sais quels billets mettent tout en rumeur, il croira lire l'histoire des singes*. Et dans tous ces dif- férents cas, il verra évidemment pourquoi l'opinion n'a causé aucun trouble chez les nations de l'antiquité, et pourquoi elle en a produit de si affreux et de si ridicules chez presque toutes les nations modernes de l'Europe, et surtout chez une nation qui habite entre les Alpes et les Pyrénées.

\'I. — DU pocvoir. DE l'opinion. e\ame.n de la persévérance

DES MOEURS CHINOISES.

L'opinion a donc changé une grande partie de la terre. Non- seulement des empires ont disparu sans laisser de trace, mais les religions ont été englouties dans ces vastes ruines. Le christia- nisme, qui est, comme on sait, la vérité même, mais que nous considérons ici comme une opinion quant à ses effets, détruisit les religions grecque, romaine, syrienne, égyptienne, dans le siècle de Théodose. Dieu permit ensuite que l'opinion du mahomé- tisme écrasât la vérité chrétienne dans l'Orient, dans l'Afrique, dans la Grèce; qu'elle triomphât du judaïsme, de l'antique religion

��1. L'auteur entend sans doute la bulle Unigenitus et les billets de confession, que l'Europe a regardés comme les deux plus impertinentes productions de ce siècle. {Note de Voltaire.) — Cette note est dans l'édition de 1769, in-4.

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