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576 REMARQUES DE L'ESSAI

rope, à commencer par l'empereur Ferdinand son oncle, étaient devant lui à peu près ce qu'étaient les Suisses devant le duc de Bourgogne, lorsqu'ils lui disaient: « Tout ce que nous avons ne vaut pas les éperons de vos chevaliers. »

Philippe II devait avoir ce qu'on appelle la monarchie univer- selle, si on pouvait l'acheter avec de l'or et la saisir par l'intrigue ; mais une femme à peine affermie dans la moitié d'une île S un prince d'Orange simple comte de l'empire et sujet du marquis de Malines, Henri IV, roi mal obéi d'une partie de la France, persécuté dans l'autre, manquant d'argent et ayant pour toute armée quelques gentilshommes et son courage, ruinèrent le domi- nateur des deux Indes.

Le commerce, qui avait pris une nouvelle face à la découverte du cap de Bonne-Espérance et à celle du nouveau monde, en prit encore une nouvelle quand les Hollandais, devenus libres par la tyrannie, s'emparèrent des îles qui produisent les épiceries, et fondèrent Batavia. Les grandes puissances commerçantes furent alors la Hollande et l'Angleterre ; la France, qui profite toujours tard des connaissances et des entreprises des autres nations, arriva la dernière aux deux Indes, et fut la plus mal partagée. Elle resta sans industrie jusqu'aux beaux jours du gouvernement de Louis XIV ; il fit tout pour animer le commerce.

Les peuples de l'Europe, dans ce temps-là, commencèrent à connaître de nouveaux besoins, qui rendirent le commerce de quelques nations, et surtout celui de la France, très-désavanta- geux. Henri IV déjeunait avec un verre de vin et du pain blanc ; il ne prenait ni thé, ni café, ni chocolat ; il n'usait point de tabac ; sa femme et ses maîtresses avaient très-peu de pierreries ; elles ne portaient point d'étoffes de Perse, de la Chine, et des Indes"-. Si l'on songe qu'aujourd'hui une bourgeoise porte à ses oreilles de plus beaux diamants que Catherine de Môdicis ; que la Martinique, Moka, et la Chine, fournissent le déjeuner d'une servante, et que tous ces objets font sortir de France plus de cinquante millions tous les ans, on jugera qu'il faut d'autres branches de commerce bien avantageuses pour réparer cette perte continuelle : on sait assez que la France s'est soutenue par ses vins, ses eaux-dc-vie, son sel, ses manufactures.

Il lui fallait faire directement le commerce des Indes, non

1. Elisabeth d'Angleterre.

2. « Ici je crois que Voltaire se trompe, dit J.-B. Say en citant ce passage dans son Cours d'économie politique. On n'avait alors de mousseline que celle qu'on tirait des Indes; mais on en tirait peu. »

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