Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/587

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

SUR LES MŒURS. :i77

pas pour augmenter ses richesses, mais pour diminuor ses dé- penses: car les hommes s'étant fait des besoins nouveaux, ceux qui ne possèdent pas les denrées demandées par ces besoins doi- vent les acheter au meilleur compte qu'il soit possible ; or, ce qu'on achète aux Indes de la première main coûte moins sans doute que si les Anglais et les Hollandais venaient le revendre. Presque toutes ces denrées se payent en argent. Il ne s'agissait donc, en formant en France une compagnie des Indes, que de perdre moins, et de chercher à se dédommager, dans l'Allemagne et dans le Nord, des dépenses immenses qu'on faisait sur les côtes de Coromandel. Mais les Hollandais avaient prévenu les Français dans l'Allemagne comme dans l'Inde ; leur frugalité et leur industrie leur donnaient partout l'avantage. Le grand incon- vénient pour une nouvelle compagnie d'Europe qui s'établit dans l'Inde, c'est, comme on l'a dit^, d'y arriver la dernière. Elle trouve des rivaux puissants déjà maîtres du commerce; il faut recevoir des affronts des nababs et des ornras, et les payer ou les battre : aussi les Portugais, et après eux les Hollandais, ne purent acheter du poivre sans donner des batailles.

Si la France a une guerre avec l'Angleterre ou la Hollande en Europe, c'est alors à qui se détruira dans l'Inde. Les compagnies de commerce deviennent nécessairement des compagnies guer- rières, et il faut être oppresseur ou opprimé. Aussi nous verrons que, quand Louis XIV eut établi sa compagnie des Indes dans Pondichéry-, les Hollandais prirent la ville et écrasèrent la compagnie. Elle renaquit des débris du système ^ et fit voir que la confusion pouvait quelquefois produire l'ordre ; mais toute la vigilance, toute la sagesse des directeurs, n'ont pas empêché que les Anglais n'aient pris Pondichéry et que la compagnie n'ait été presque détruite une seconde fois. Les Anglais ont rendu la ville à la paix*; mais on sait dans quel état on rend une place de commerce dont on est jaloux : la compagnie est restée avec quel- ques vaisseaux, des magasins ruinés, des dettes, et point d'argent ^

Elle agissait dans l'Inde en souveraine; mais elle y a trouvé

1. Page 576.

2. Voyez tome XIV, page 498.

3. Voyez tome XY, pages 163 et 325,

4. Voltaire écrivait cela l'année même où la paix venait d'être conclue, et où les com- merçants de Pondichéry, entièrement ruinés, remplissaient Paris de leurs plaintes.

5. Elle a été supprimée en 1769, sous le ministère de M. d'Invau; il fut prouvé alors qu'elle ne s'était jamais soutenue qu'aux dépens du trésor royal, et qu'elle faisait le commerce à perte. Des négociants particuliers le firent les années suivantes: ils y gagnèrent, et les denrées de l'Inde baissèrent de prix. (K.)

24. — MÉLANGES. III. 37

�� �