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INTRODUCTION.

soient inconnus, tandis qu’on a des suites chronologiques de tant d’hommes qui n’ont fait aucun bien, ou qui ont fait beaucoup de mal ? Autant il faut connaître les grandes actions des souverains qui ont changé la face de la terre, et surtout de ceux qui ont rendu leurs peuples meilleurs et plus heureux, autant on doit ignorer le vulgaire des rois, qui ne servirait qu’à charger la mémoire.

Je me propose de diviser mon étude par siècles ; mais je sens qu’en ne présentant à mon esprit que ce qui se fait précisément dans le siècle que j’aurai sous les yeux, je serai obligé de trop partager mon attention, de séparer en trop de parties les idées suivies que je veux me faire, d’abandonner la recherche d’une nation, ou d’un art, ou d’une révolution, pour ne la reprendre que longtemps après. Je remonterai donc quelquefois à la source éloignée d’un art, d’une coutume importante, d’une loi, d’une révolution. J’anticiperai quelquefois, mais le moins que je pourrai, et en évitant, autant que ma faiblesse me le permettra, la confusion et la dispersion des idées. Je tâcherai de présenter à mon esprit une peinture fidèle de ce qui mérite d’être connu dans l’univers.

Avant de considérer l’état où était l’Europe vers le temps de Charlemagne, et les débris de l’empire romain, j’examine d’abord s’il n’y a rien qui soit digne de mon attention dans le reste de notre hémisphère. Ce reste est douze fois plus étendu que la domination romaine, et m’apprend d’abord que ces monuments des empereurs de Rome, chargés des titres de maîtres et de restaurateurs de l’univers, sont des témoignages immortels de vanité et d’ignorance, non moins que de grandeur.

Frappés de l’éclat de cet empire, de ses accroissements et de sa chute, nous avons, dans la plupart de nos histoires universelles, traité les autres hommes comme s’ils n’existaient pas. La province de la Judée, la Grèce, les Romains, se sont emparés de toute notre attention ; et quand le célèbre Bossuet dit un mot des mahométans, il n’en parle que comme d’un déluge de barbares. Cependant beaucoup de ces nations possédaient des arts utiles que nous tenons d’elles ; leurs pays nous fournissaient des commodités et des choses précieuses que la nature nous a refusées ; et, vêtus de leurs étoffes, nourris des productions de leurs terres, instruits par leurs inventions, amusés même par les jeux qui sont le fruit de leur industrie, nous nous sommes fait avec trop d’injustice une loi de les ignorer.

FIN DE L’INTRODUCTION, ETC.