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DIALOGUE

ENTRE

UN BRACHMANE ET UN JÉSUITE

SUR LA NÉCESSITÉ ET L’ENCHAÎNEMENT DES CHOSES[1].


le jésuite.

C’est apparemment par les prières de saint François Xavier que vous êtes parvenu à une si heureuse et si longue vieillesse ? Cent quatre-vingts ans ! cela est digne du temps des patriarches.

le brachmane.

Mon maître Fonfouca en a vécu trois cents ; c’est le cours ordinaire de notre vie. J’ai une grande estime pour François Xavier ; mais ses prières n’auraient jamais pu déranger l’ordre de l’univers, et s’il avait eu seulement le don de faire vivre une mouche un instant de plus que ne le portait l’enchaînement des destinées, ce globe-ci serait tout autre chose que ce que vous voyez aujourd’hui.

le jésuite.

Vous avez une étrange opinion des futurs contingents. Vous ne savez donc pas que l’homme est libre, que notre volonté dispose à notre gré de tout ce qui se passe sur la terre ? Je vous assure que les seuls jésuites y ont fait pour leur part des changements considérables.

le brachmane.

Je ne doute pas de la science et du pouvoir des révérends pères jésuites ; ils sont une partie fort estimable de ce monde, mais je ne les en crois pas les souverains. Chaque homme, chaque être, tant jésuite que brachmane, est un ressort de l’univers : il obéit à la destinée, et ne lui commande pas. À quoi tenait-il que

  1. La première édition est de 1756.