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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/73

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LUCRÈCE ET POSIDONIUS.

pour entendre, les parties de la génération pour perpétuer l’espèce. Si vous considérez que d’une étoile placée à quatre ou cinq cents millions de lieues de nous il part des traits de lumière qui viennent faire le même angle déterminé dans les yeux de chaque animal, et que tous les animaux ont à l’instant la sensation de la lumière, vous m’avouerez qu’il y a là une mécanique, un dessein admirable. Or n’est-il pas déraisonnable d’admettre une mécanique sans artisan, un dessein sans intelligence, et de tels desseins sans un Être suprême ?

lucrèce.

Si j’admets cet Être suprême, quelle forme aura-t-il ? Sera-t-il en un lieu ? sera-t-il hors de tout lieu ? sera-t-il dans le temps, hors du temps ? remplira-t-il tout l’espace, ou non ? Pourquoi aurait-il fait ce monde ? quel est son but ? Pourquoi former des êtres sensibles et malheureux ? Pourquoi le mal moral et le mal physique ? De quelque côté que je tourne mon esprit, je ne vois que l’incompréhensible.

posidonius.

C’est précisément parce que cet Être suprême existe que sa nature doit être incompréhensible : car s’il existe, il doit y avoir l’infini entre lui et nous. Nous devons admettre qu’il est, sans savoir ce qu’il est, et comment il opère. N’êtes-vous pas forcé d’admettre les asymptotes en géométrie, sans comprendre comment ces lignes peuvent s’approcher toujours, et ne se toucher jamais ? N’y a-t-il pas des choses aussi incompréhensibles que démontrées dans les propriétés du cercle ? Concevez donc qu’on doit admettre l’incompréhensible, quand l’existence de cet incompréhensible est prouvée.

lucrèce.

Quoi ! il me faudrait renoncer aux dogmes d’Épicure ?

posidonius.

Il vaut mieux renoncer à Épicure qu’à la raison.

SECOND ENTRETIEN.
lucrèce.

Je commence à reconnaître un Être suprême inaccessible à nos sens, et prouvé par notre raison, qui a fait le monde, et qui le conserve ; mais pour tout ce que je dis de l’âme dans mon troisième livre, admiré de tous les savants de Rome, je ne crois pas que vous puissiez m’obliger à y renoncer.