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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/76

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LUCRÈCE ET POSIDONIUS.

or une pensée, une volonté, un sentiment, n’ont rien de semblable à de la matière ignée.

lucrèce.

Deux corps qui se heurtent produisent du mouvement ; et cependant ce mouvement n’a rien de semblable à ces deux corps, il n’a rien de leurs trois dimensions, il n’a point comme eux de figure : donc un être peut n’avoir rien de semblable à l’être qui le produit : donc la pensée peut naître de l’assemblage de deux corps qui n’auront point la pensée.

posidonius.

Cette comparaison est encore plus éblouissante que juste. Je ne vois que matière dans deux corps en mouvement ; je ne vois là que des corps passant d’un lieu dans un autre. Mais quand nous raisonnons ensemble, je ne vois aucune matière dans vos idées et dans les miennes. Je vous dirai seulement que je ne conçois pas plus comment un corps a le pouvoir d’en remuer un autre que je ne conçois comment j’ai des idées. Ce sont pour moi deux choses également inexplicables, et toutes deux me prouvent également l’existence et la puissance d’un Être suprême auteur du mouvement et de la pensée.

lucrèce.

Si notre âme n’est pas un feu subtil, une quintessence éthérée, qu’est-elle donc ?

posidonius.

Vous et moi n’en savons rien : je vous dirai bien ce qu’elle n’est pas ; mais je ne puis vous dire ce qu’elle est. Je vois que c’est une puissance qui est en moi, que je ne me suis pas donné cette puissance, et que par conséquent elle vient d’un être supérieur à moi.

lucrèce.

Vous ne vous êtes pas donné la vie, vous l’avez reçue de votre père ; vous avez reçu de lui la pensée avec la vie, comme il l’avait reçue de son père, et ainsi en remontant à l’infini. Vous ne savez pas plus au fond ce que c’est que le principe de la vie que vous ne connaissez le principe de la pensée. Cette succession d’êtres vivants et pensants a toujours existé de tout temps.

posidonius.

Je vois toujours que vous êtes forcé d’abandonner le système d’Épicure, et que vous n’osez plus dire que la déclinaison des atomes produit la pensée ; mais j’ai déjà réfuté dans notre dernier entretien la succession éternelle des êtres sensibles et pensants ; je vous ai dit que s’il y avait eu des êtres matériels