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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/92

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le fond de leur cœur, admirent ce qu’ils haïssent. Il en a été de même de tous les grands hommes du siècle de Louis XIV : l’équité du public leur a rendu justice, et l’esprit de parti a murmuré.

C’est ce qui arrive à l’occasion de Joseph Saurin, l’un des plus beaux génies du siècle des grandes choses. De très-savants hommes éclairèrent alors le monde, et aujourd’hui on s’occupe à disséquer leurs cadavres.

Si ce philosophe était tombé dans des fautes graves, il faudrait les couvrir du manteau de la charité[1] ; c’est l’intérêt de la société, c’est celui de la religion. Que peut gagner un homme revêtu d’un ministère qu’il dit saint, quand il s’acharne à prouver que son confrère a mérité d’être repris de justice ?

Il parle de prudence : y a-t-il de la prudence à déshonorer son état ? Il parle de religion : y a-t-il de la religion à souiller la cendre d’un homme enseveli depuis plus de trente années, et à vouloir prouver qu’il a fini ses jours en criminel ? Quelle religion, de s’acharner contre les vivants et contre les morts ! Quel fruit en reviendra-t-il à la société, à la morale, à l’édification publique, quand on aura tristement combattu des témoignages respectables rendus[2] en faveur d’une famille vertueuse ?

Touché de l’affliction que l’imposture préparait à cette famille, et pressé par les devoirs de l’humanité, je vais trouver un gentilhomme, un ancien officier, seigneur de la terre dans laquelle Joseph Saurin avait été ce qu’on appelle ministre ou pasteur. « Avez-vous jamais vu, lui dis-je, une lettre dans laquelle Saurin est supposé s’accuser lui-même des fautes dont on le charge, et qu’on a fait imprimer depuis peu ? — Non, répond cet officier plein de franchise et de bonté, je ne l’ai jamais vue, et je ne puis approuver l’usage qu’on en fait. » Toute sa famille répond la même chose. Trois pasteurs respectables, animés des mêmes principes d’hon-

  1. C’est ce qu’a fait M. de Voltaire par commisération pour le fils respectable et les filles de Joseph Saurin. Voyez la lettre qu’il lui écrivit à ce sujet. M. de Voltaire était bien instruit de la vérité… Saurin avait été pasteur du lieu de ma naissance ; et c’était avec un de mes grands oncles qu’il avait eu une de ses aventures cruelles. (Note de Wagnière.) — La lettre dont Wagnière parle dans cette note est celle du 27 décembre 1758.
  2. Dans l’édition de 1758, on lit : « rendus en faveur de cinq enfants malheureux ?

    « Remarquons ici un contraste bien frappant et trop ordinaire. L’auteur du Siècle de Louis XIV, l’ami de M. Saurin, de son fils et de ses sœurs, touché de leur affliction, et pressé par le devoir de l’humanité, va trouver un gentilhomme, etc. » (B.)