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LA SUPERSTITION PAR RAPPORT AU PEUPLE.

et aux brutes leurs vassaux ; on leur faisait croire que saint Christophe avait porté l’enfant Jésus du bord d’une rivière à l’autre ; on les repaissait d’histoires de sorciers et de possédés ; ils imaginaient aisément que saint Genou guérissait de la goutte, et que sainte Claire guérissait les yeux malades. Les enfants croyaient au loup-garou, et les pères au cordon de saint François. Le nombre des reliques était innombrable.

La rouille de tant de superstitions a subsisté encore quelque temps chez les peuples, lors même qu’enfin la religion fut épurée. On sait que quand M. de Noailles, évêque de Châlons, fit enlever et jeter au feu la prétendue relique du saint nombril de Jésus-Christ, toute la ville de Châlons lui fit un procès ; mais il eut autant de courage que de piété, et il parvint bientôt à faire croire aux Champenois qu’on pouvait adorer Jésus-Christ en esprit et en vérité, sans avoir son nombril dans une église.

Ceux qu’on appelait jansénistes ne contribuèrent pas peu à déraciner insensiblement dans l’esprit de la nation la plupart des fausses idées qui déshonoraient la religion chrétienne. On cessa de croire qu’il suffisait de réciter l’oraison des trente jours à la vierge Marie pour obtenir tout ce qu’on voulait et pour pécher impunément.

Enfin la bourgeoisie a commencé à soupçonner que ce n’était pas sainte Geneviève qui donnait ou arrêtait la pluie, mais que c’était Dieu lui-même qui disposait des éléments. Les moines ont été étonnés que leurs saints ne fissent plus de miracles ; et si les écrivains de la Vie de saint François Xavier revenaient au monde, ils n’oseraient pas écrire que ce saint ressuscita neuf morts[1], qu’il se trouva en même temps sur mer et sur terre, et que son crucifix étant tombé dans la mer un cancre vint le lui rapporter.

Il en a été de même des excommunications. Nos historiens nous disent que lorsque le roi Robert eut été excommunié par le pape Grégoire V, pour avoir épousé la princesse Berthe sa commère, ses domestiques jetaient par les fenêtres les viandes qu’on avait servies au roi, et que la reine Berthe accoucha d’une oie en punition de ce mariage incestueux. On doute aujourd’hui que les maîtres d’hôtel d’un roi de France excommunié jetassent son dîner par la fenêtre, et que la reine mît au monde un oison en pareil cas.

  1. Voltaire ne parle que de huit enfants ressuscités, à son article François Xavier ; voyez tome XIX, page 203.