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CHAPITRE XXII.

ma vie, et vous aussi ; vous êtes ambitieux, et moi aussi ; l’empire m’a coûté des fourberies et des cruautés ; j’ai assassiné presque tous mes proches ; je m’en repens : je veux expier mes crimes en rendant l’empire romain tranquille, ne m’empêchez pas de faire le seul bien qui puisse faire oublier mes anciennes barbaries ; aidez-moi à finir mes jours en paix. » Peut-être n’aurait-il rien gagné sur les disputeurs ; peut-être fut-il flatté de présider à un concile en long habit rouge, la tête chargée de pierreries.

Voilà pourtant ce qui ouvrit la porte à tous ces fléaux qui vinrent de l’Asie inonder l’Occident. Il sortit de chaque verset contesté une furie armée d’un sophisme et d’un poignard, qui rendit tous les hommes insensés et cruels. Les Huns, les Hérules, les Goths et les Vandales, qui survinrent, firent infiniment moins de mal, et le plus grand qu’ils firent fut de se prêter enfin eux-mêmes à ces disputes fatales.


CHAPITRE XXII.


DE LA TOLÉRANCE UNIVERSELLE.


Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères[1]. Quoi ! mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sans doute ; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ?

Mais ces peuples nous méprisent ; mais ils nous traitent d’idolâtres ! Hé bien ! je leur dirai qu’ils ont grand tort. Il me semble que je pourrais étonner au moins l’orgueilleuse opiniâtreté d’un iman ou d’un talapoin, si je leur parlais à peu près ainsi :

« Ce petit globe, qui n’est qu’un point, roule dans l’espace, ainsi que tant d’autres globes ; nous sommes perdus dans cette immensité. L’homme, haut d’environ cinq pieds, est assurément peu de chose dans la création. Un de ces êtres imperceptibles dit à quelques-uns de ses voisins, dans l’Arabie ou dans la Cafrerie : « Écoutez-moi, car le Dieu de tous ces mondes m’a éclairé : il y

  1. C’est ce qu’avait dit l’évêque de Soissons Fitz-James ; voyez tome XX, page 524 ; XXIV, 280, 395.