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484 ARTICLES EXTRAITS

près de quatre cents ans, l'État romain n'eut pas plus de dix lieues en longueur, et autant en largeur. L'État de Gênes est beaucoup plus considérable aujourd'hui que la république romaine ne l'était alors.

Ce ne fut que l'an 360 que Véies fut prise après une espèce de siège ou de blocus qui avait duré dix années. Véies était auprès de l'endroit où est aujourd'hui Civita-Vecchia, à cinq ou six lieues de Rome ; et le terrain autour de Rome, capitale de l'Europe, a toujours été si stérile que le peuple voulut quitter sa patrie pour aller s'établir à Véies.

Aucune de ses guerres, jusqu'à celle de Pyrrhus, ne mériterait de place dans l'histoire, si elles n'avaient été le prélude de ses grandes conquêtes. Tous ces événements, jusqu'au temps de Pyrrhus, sont pour la plupart si petits et si obscurs qu'il fallut les relever par des prodiges incroyables ou par des faits destitués de vraisemblance, depuis l'aventure de la louve qui nourrit Romu- lus et Rémus, et dqpuis celles de Lucrèce, de Clélie, de Curtius, jusqu'à la prétendue lettre du médecin de Pyrrhus, qui proposa, dit-on, aux Romains d'empoisonner son maître, moyennant une récompense proportionnée à ce service. Quelle récompense pou- vaient lui donner les Romains, qui n'avaient alors ni or ni argent? Et comment soupçonne-t-on un médecin grec d'être assez imbé- cile pour écrire une telle lettre?

Tous nos compilateurs recueillent ces contes sans le moindre examen ; tous sont copistes, aucun n'est philosophe : on les voit tous honorer du nom de vertueux des hommes qui au fond n'ont jamais été que des brigands courageux. Ils nous répètent que la vertu romaine fut enfin corrompue par les richesses et par le luxe, comme s'il y avait de la vertu à piller les nations, et comme s'il n'y avait de vice qu'à jouir de ce qu'on a volé. Si on a voulu faire un traité de morale au lieu d'une histoire, on a dû inspirer encore plus d'horreur pour les déprédations des Romains que pour l'usage qu'ils firent des trésors ravis à tant de nations, qu'ils dépouillèrent l'une après l'autre.

Nos historiens modernes de ces temps reculés auraient dû discerner au moins les temps dont ils parlent; il ne faut pas traiter le combat peu vraisemblable des Horaces et des Curiaces, l'aventure romanesque de Lucrèce, celle de Clélie, celle de Curtius, comme les batailles de Pharsale et d'Actium. Il est essentiel de distinguer le siècle de Cicéron de ceux où les Ro- mains ne savaient ni lire ni écrire, et ne comptaient les années que par des clous fichés dans le Capitole. En un mot, toutes les

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