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DE LA GAZETTE LITTÉRAIRE. 185

histoires romaines que nous avons dans les langues modernes n'ont point encore satisfait les lecteurs ^

Personne n'a encore recherché avec succès ce qu'était un peuple attaché scrupuleusement aux superstitions, et qui ne sut jamais régler le temps de ses fêtes ; qui ne sut même, pendant près de cinq cents ans, ce que c'était qu'un cadran au soleil ; un peuple dont le sénat se piqua quelquefois d'humanité, et dont ce même sénat immola aux dieux deux Grecs et deux Gauloises pour expier la galanterie d'une de ses vestales ; un peuple tou- jours exposé aux blessures, et qui n'eut qu'au bout de cinq siècles un seul médecin, qui était à la fois chirurgien et apo- thicaire.

Le seul art de ce peuple fut la guerre pendant six cents an- nées; et, comme il était toujours armé, il vainquit tour à tour les nations qui n'étaient pas continuellement sous les armes.

L'auteur du petit volume sur la Grandeur et la Décadence des Romains- nous en apprend plus que les énormes livres des histo- riens modernes. Il eût seul été digne de faire cette histoire, s'il eût pu résister surtout à l'esprit de système, et au plaisir de donner souvent des pensées ingénieuses pour des raisons.

Un des défauts qui rendent la lecture des nouvelles histoires romaines peu supportable, c'est que les auteurs veulent entrer dans des détails comme Tite-Live. Ils ne songent pas que Tite- Live écrivait pour sa nation, à qui ces détails étaient précieux. C'est bien mal connaître les hommes d'imaginer que des Fran- çais s'intéresseront aux marches et aux contre-marches d'un consul qui fait la guerre aux Samnites et aux Volsques, comme nous nous intéressons à la bataille d'Ivry et au passage du Rhin à la nage.

Toute histoire ancienne doit être écrite différemment de la nôtre, et c'est à ces convenances que les auteurs des histoires an- ciennes ont manqué. Ils répètent et ils allongent des harangues qui ne furent jamais prononcées, plus soigneux de faire parade d'une éloquence déplacée que de discuter des vérités utiles. Les exagérations souvent puériles, les fausses évaluations des mon- naies de l'antiquité et de la richesse des États, induisent en erreur les ignorants, et font peine aux hommes instruits. On imprime de nos jours qu'Archimède lançait des traits à quelque

1. Voltaire ne paraît pas avoir connu la Dissertation sur l'incertitude des cinq premiers siècles de l'histoire romaine, par de Beaufort, 1738. C'est cet ouvrage qui a servi de guide à Niebuhr dans ses doutes.

2. Montesquieu.

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