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210 ARTICLES EXTRAITS

passé la Somme, les troupes françaises, incessamment accrues par de nouveaux corps, se hâtèrent d'aller à leur rencontre. » On ne doit point entendre par ces paroles que l'armée de France vint se présenter aux Anglais en venant à eux du côté opposé, et que Henri V, ayant passé la Somme, trouva les ennemis vers l'autre bord. L'auteur fait assez entendre que le roi d'Angleterre, venant de Normandie, passa la Somme auprès de Saint-Quentin, et que le connétable d'Albret, qui commandait l'armée de France, partit aussi de Normandie, et passa la Somme vers Abbeville.

Henri V, des environs de Saint-Quentin au delà de la Somme, s'avançait sur le chemin de Calais, soit pour s'en retourner en Angleterre, soit pour en attendre des renforts ; et le connétable d'Albret, se portant sur le chemin de Calais dans l'Artois, faisait une très-belle manœuvre de guerre. Il avait une armée quatre fois plus forte que celle des ennemis, et cherchait à leur fermer aisément tous les passages.

Daniel dit que « le roi d'Angleterre, ayant passé la petite rivière du Ternois à Blangy, fut fort surpris de découvrir des hauteurs l'armée française, dans la plaine d'Azincourt et de Rus- seauville, rangée en bataille, et tellement postée qu'il ne pouvait l'éviter ».

H ne devait pas en être surpris, s'il est vrai, comme le rap- porte le nouvel auteur d'après Froissard, qu'un héraut d'armes était venu trois jours auparavant lui annoncer, suivant l'esprit de chevalerie de ces temps-là, qu'on lui livrerait bataille dans trois jours.

La nouvelle Histoire dit « que le connétable, à qui la dispo- sition de la bataille appartenait, n'oublia rien de ce qu'il fallait pour la perdre. Maître de s'étendre dans un terrain spacieux où il eût pu facilement envelopper les ennemis et profiter de la supé- riorité du nombre, il choisit un espace étroit, resserré d'un côté par une petite rivière, et de l'autre par un bois ».

C'est le sentiment de Rapin Thoiras, qui était un officier de mérite aussi bien qu'un historien très-judicieux.

Le P. Daniel s'exprime ainsi dans le récit de cette bataille : « Le roi d'Angleterre avait choisi admirablement son poste entre deux bois qui couvraient les deux flancs de son armée. » N'est-il pas vraisemblable que si la position de l'armée anglaise entre deux bois était admirable, celle du connétable entre un bois et une rivière était plus admirable encore? car le connétable était appuyé non-seulement à un bois, mais encore à une rivière. Si la journée fut si malheureuse, ne doit-on pas attribuer la perte de la bataille à d'autres causes qu'à une mauvaise disposition ?

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