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216 ARTICLES EXTRAITS

Strada parce qu'il ne mérite d'être comparé à personne, le fameux Garasse, a cité le même passage pour prouver que Tacite était un athéiste, et il lui associe Lucain, qui, dit-il, a sûrement emprunté de lui cette pensée dans les vers suivants (lib. IV, 807-9) :

Félix Roma quidem, civesque habitura beatos, Si libertatis superis tam cura placeret Quam vindicta placet!...

C'est dommage pour la remarque du P. Garasse que la Pharsale ait été antérieure à VHistoire de Tacite ; mais nous ne nous arrê- terons pas à relever ce fanatique bouffon trop au-dessous de toute critique; nous remarquerons seulement qu'il est étrange qu'on cite pour preuve de l'irréligion de Tacite la pensée la plus religieuse peut-être qu'on trouve dans cet auteur. Il n'y a rien assurément de moins impie que de dire que les dieux envoient des calamités à un peuple pour le punir de ses crimes ; Tacite, dans cette même phrase, parle des prodiges, des présages heu- reux et funestes, et des autres avertissements du ciel : ce langage ressemble plus à celui d'un superstitieux que d'un athée. Nous n'entrerons pas d'ailleurs dans cette frivole discussion: il importe fort peu à la gloire de Tacite qu'on pense qu'il admettait ou qu'il rejetait l'existence et la providence de Jupiter Capitolin ; dans les principes de la vraie religion, croire aux dieux du paganisme ou être athée, c'est la même chose. Il y a beaucoup d'apparence que Tacite, ainsi que César, Cicéron, Sénèque, Lucrèce, et tous les autres grands hommes de ces temps-là, se moquaient beau- coup des auspices, des présages, du Tartare, et de tous les Jupi- ters de la fable; mais ce n'est pas sur un ou deux passages d'un auteur ancien qu'il faut juger de ses sentiments en matière de religion : il n'est aucun d'eux qui n'ait écrit sur cet objet des choses contradictoires. Il y a une règle simple et générale pour juger des opinions de ces écrivains : lorsqu'ils semblent respecter la religion nationale, ils ont pu le faire par bienséance, par poli- tique, ou pour intéresser plus sûrement en adoptant les préjugés populaires; mais, lorsqu'ils attaquent ou tournent en ridicule ces mêmes préjugés, ils ne peuvent avoir pour motif que leur propre persuasion.

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