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DE LA GAZETTE LITTÉRAIRE. 219

On parle beaucoup de population depuis quelques années. J'ose hasarder une réflexion. Notre grand intérêt est que les hommes qui existent soient heureux, autant que la nature hu- maine et l'extrême disproportion entre les différents états de la vie le comportent ; mais si nous n'avons pu encore procurer ce bonheur aux hommes, pourquoi tant souhaiter d'en augmenter le nombre? Est-ce pour faire de nouveaux malheureux? La plu- part des pères de famille craignent d'avoir trop d'enfants, et les gouvernements désirent l'accroissement des peuples; mais si chaque royaume acquiert proportionnellement de nouveaux sujets, nul n'acquerra de supériorité.

Quand un pays a un superflu d'habitants, ce superflu est em- ployé utilement aux colonies de l'Amérique. Malheur aux nations qui sont obligées d'y envoyer les citoyens nécessaires à l'État ! C'est dégarnir la maison paternelle pour meubler une maison étrangère. Les Espagnols ont commencé; ils ont rendu ce malheur indispensable aux autres nations.

L'Allemagne est une pépinière d'hommes, et n'a point de co- lonies : que doit-il en résulter? que les Allemands qui sont de trop chez eux peupleront les pays voisins. C'est ainsi que la Prusse et la Poméranie ont réparé la disette des hommes.

Très-peu de pays sont dans le cas de l'Allemagne : l'Espagne et le Portugal, par exemple, ne seront jamais fort peuplés; les femmes y sont peu fécondes, les hommes peu laborieux, et le tiers de la contrée est aride.

L'Afrique fournit tous les ans environ quarante mille nègres à l'Amérique, et ne paraît pas épuisée. Il semble que la nature ait favorisé les noirs d'une fécondité qu'elle a refusée à tant d'autres nations. Le pays le plus peuplé de la terre est la Chine, sans qu'on y ait jamais fait ni de livres ni de règlements pour favoriser la population, dont nous parlons sans cesse. La nature fait tout sans se soucier de nos raisonnements.

��XXIV.

Lettre aux auteurs de la Gazette littéraire. (14 novembre 1764.)

Mille gens, messieurs,"^ s'élèvent et déclament contre l'anglo- manie : j'ignore ce qu'ils entendent par ce mot. S'ils veulent par- ler de la fureur de travestir en modes ridicules quelques usages

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