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226 RÉPONSE

chefs-d'œuvre de la France, comme j'ai pensé que le rôle de Phèdre était le plus beau de tous les rôles ^ sans faire aucun tort au grand mérite du petit nombre des autres ouvrages qui sont restés en possession du théâtre. Ce mérite est si rare, et cet art est si difficile, qu'il faut avouer que, depuis Racine, nous n'avons rien eu de véritablement beau.

Par quelle fatalité faut-il que presque tous les arts dégénèrent dès qu'il y a eu de grands modèles? Vous n'êtes content, monsieur, d'aucune des pièces de théâtre qu'on a faites depuis quatre-vingts ans ; voilà presque un siècle entier de perdu. Je suis malheu- reusement de votre avis : je vois quelques morceaux, quelques lambeaux de vers épars rà et là, dans nos pièces modernes, mais je ne vois aucun bon ouvrage. J'oserai convenir avec vous hardi- ment qu'il y a une tragédie iVOEdipe -, qui est mieux reçue au théâtre que celle de Corneille; mais je crois avec la même ingé- nuité que cette pièce ne vaut pas grand'chose, parce qu'il y a de la déclamation, et que le froid ressouvenir des anciennes amours de Pbiloctètc et de Jocaste me paraît insupportable.

Toutes les autres pièces du même auteur me semblent très- médiocres, et la preuve en est que j'en oublie volontiers tous les vers, pour ne m'occuper que de ceux de Piacinc et de Corneille.

J'ai fait, toute ma vie, une étude assidue de l'art dramatique : cela seul m'a mis en droit de commenter les tragédies d'un grand maître. J'ai toujours remarqué que le peintre le plus médiocre se connaissait quelquefois mieux en tableaux qu'aucun des ama- teurs qui n'ont jamais manié le pinceau.

C'est sur ce fondement que je me suis cru autorisé à dire ce que je pensais sur les ouvrages dramatiques que j'ai commentés, et de mettre sous les yeux des objets de comparaison. Tantôt je fais voir comment un Espagnol ^ et un Anglais ^ ont traité à peu près les mêmes sujets que Corneille. Tantôt je tire des exemples de l'inimi- table Racine. Quelquefois je cite des morceaux de Quinault, dans lequel je trouve, en dépit de Roileau, un mérite très-supérieur.

Je n'ai pu dire que mon sentiment. Ce n'est point ici un vain discours d'appareil, dans lequel en n'ose expliquer ses idées de peur de choquer les idées de la multitude; mais, en exposant ce que j'ai cru vrai, je n'ai en effet exposé que des doutes que chaque lecteur pourra résoudre.

i. Voyez tome XVII, page 406.

2. Celle de Voltaire lui-même.

3. Caldei'on ; voyez, tome VI du Théâtre, l'extrait de son HéracUus.

4. Shakespeare ; voyez, tome YI du Théâtre, une partie de son Jules César.

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