PAR ANTOINE VADÉ. 239
romancier Grégoire de Tours, que les soldats do Clovis, après la bataille de Tolbiac, s'écrièrent comme de concert : « Nous renon- çons aux dieux mortels ; nous ne voulons plus adorer que l'im- mortel ; nous ne reconnaissons plus d'autre Dieu que celui que le saint évêquc Rémi nous prêclic. »
En vérité, il n'est pas possii^le que toute une armée de Francs ait prononcé de concert cette phrase et ces antithèses de mortel et d'immortel. Votre Daniel ressemble à votre Lamotte S qui, dans une abréviation d'Homère, fait dire une pointe à toute l'armée grecque, et lui fait prononcer ce vers quand Achille se réconcilie avec Agamemnon :
Que ne vaincra-t-il point, il s'est vaincu lui-même.
Comment l'armée des Francs pouvait-elle renoncer à des dieux mortels ? Adorait-elle des hommes ? Le Thaut, l'Irminsul, l'Odin, la Fridda, que ces barbares révéraient, n'étaient-ils pas des immortels k leurs yeux ? Daniel ne devait pas ignorer que tous les peuples du Nord adoraient un Dieu suprême qui prési- dait à toutes ces divinités secondaires ; il n'avait qu'à consulter l'ancien livre del'Edda, cité par le savant Huet-, évoque d'Avran- ches ; il n'avait qu'à lire ce que Tacite-' dit expressément dans son Traité des mœurs des Germains : Regnator omnium Deus. Ce Dieu s'ap- pelait God ou Goth, Got le Bon, et on ne peut assez admirer que des barbares eussent donné à la Divinité un titre si digne d'elle, Daniel ne devait donc pas mettre une pareille sottise dans la bouche de toute une armée, sottise convenable tout au plus au Pédagogue chrétien^. Maison quelle langue, s'il vous plaît, prêchait Rémi à ces Bructères et à ces Sicambres ? Il parlait ou latin ou welche; et les Sicambres parlaient l'ancien tudesque. Rémi apparemment renouvela le miracle de la Pentecôte : Et unusquis- que intcndehat linguam suarn^. Si vous examinez de près Mézerai, que de fables, que de confusion, et quel style ! Méritez des Tite- Live, et vous en aurez.
1. Voyez tome XIX, pages 7, 12, et 22.
2. C'est dans sa Lettre de l'origine des romans, page 147 de l'édition de 1678, qu'Huet cite l'Edda.
3. Toutes les éditions que j'ai vues, soit anciennes, soit récentes, portent ici Huet. Il est évident que ce n'est qu'une faute de copiste ou d'impression : les trois mots cités sont dans le traité De 3Ioribus Germanorum, chapitre xxxix. (B.)
4. Par Outreman; voyez la note, tome XVIIJ, page 548.
5. Dans le chapitre ii des Actes des apôtres, on lit, verset 6: Quoniam\audie- bat unusquisque lingua sua illos loquentes ; et verset 8: Nos audivimus tmns- qiiisque linguam nostram in qua nati sumus.
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