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DU CARDINAL DE RICHELIEU. 289

d'un orgueil insupportable; secondement, parce qu'il est entière- ment faux. Toute la France sait cfue, dans l'année 1624, j'entrai au conseil malgré la répugnance extrême du roi. Après avoir longtemps sollicité le marquis de La Vieuville, à qui je jurai sur l'eucharistie une amitié inviolable, et que je fis ensuite exiler, je n'eus d'abord aucun crédit, aucun département ; le roi ne con- naissait pas alors tout mon zèle, et je n'avais rendu aucun service signalé.

« Vous parlez avec trop d'emphase de la victoire que les armes de Sa Majesté remportèrent a Castelnaudary^. Tout le monde sait assez que cette grande victoire fut à peine une escarmouche. Le duc de Montmorency étant allé reconnaître un poste à la tête de soixante maîtres, un corps avancé, qui se trouva vis-à-vis sur le bord d'un fossé, tira quelques coups; Montmorency, emporté d'une ardeur téméraire, franchit le fossé, et, n'étant suivi que de six personnes seulement, il fut percé de coups et fait prisonnier: il est vrai que je l'ai fait mourir sur un échafaud ; mais vous pour- riez m'épargner cet éloge.

«Vous me louez beaucoup : de justes éloges encouragent; mais certains mensonges imprimés ou manuscrits diminueraient ma gloire au lieu de l'accroître. Gardez-vous surtout, dans votre Narration, de me faire parler d'une manière indécente , de me prêter des injures atroces contre la brave et fidèle nation espa- gnole, avec laquelle je suis déjà en négociation ; ne me faites pas dire quelle a rendu les Indes tributaires de l'enfer : ces invectives sont d'un mauvais rhéteur, et non d'un ministre.

« Quand vous me faites parler d'un héros tel que le duc Henri de Rohan, ne me faites pas dire que sa terreur panique nous a fait perdre la Valteline. Nul guerrier n'a été moins sujet aux terreurs paniques que lui ; et vous ressembleriez à ce poëte ita- lien qui, dans un opéra, introduit César criant aux siens, dès la première scène -.Alla fuga , cdlo scampo, signori. Corrigez toutes les indécences pareilles dont vous parsemez votre Narration suc- cincte , et mettez des vérités à la place des injures,

« Ajoutez à votre narration la conquête d'Aire, que je crains bien qui nous soit enlevée. Parlez de la dernière distribution des bénéfices, si vous voulez; corrigez toutes les fautes de votre ouvrage ; et je le reverrai quand j'en aurai le temps.

��1. Les mots en italique se trouvent dans la Succincte Narration, formant le chapitre i'^ de la P*^ partie du Testament politique de RicJielieu. Une suite fut publiée, pour la première fois, dans l'édition de 176i. (B.)

25. — MliLANGES. IV. 19

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