Cet argument dont s’est servi Woolston ne me paraît, je l’avoue, qu’un blasphème : car en quoi est-il indigne de Dieu de se prêter à la joie innocente des convives, dès qu’il daigne être à table avec eux ? et s’il a bien voulu faire de tels miracles, pourquoi ne les opérera-t-il pas ensuite par les mains de ses élus ? Les prodiges de l’Ancien et du Nouveau Testament, une fois admis, peuvent être répétés dans tous les siècles ; et si on n’en fait plus aujourd’hui, c’est, comme on l’a dit tant de fois[1], que nous n’en avons plus besoin.
La dernière ressource de ceux qui n’écoutent que leur raison trompeuse est de nous dire que nous avons plus besoin de miracles que jamais. L’Église, disent-ils, est réduite à l’état le plus déplorable.
Anéantie dans l’Asie et dans l’Afrique, esclave en Grèce, dans l’Illyrie, dans la Mésie, dans la Thrace, elle est déchirée dans le reste de l’Europe, partagée en plus de vingt sectes qui se combattent, et saignante encore des meurtres de ses enfants ; trop brillante dans quelques États, trop avilie dans d’autres, elle est plongée dans le luxe ou dans la fange. La mollesse la déshonore, l’incrédulité lui insulte ; elle est un objet d’envie ou de pitié ; elle crie au ciel : Rétablissez-moi comme vous m’avez produite ; elle demande des miracles comme Rachel demandait des enfants[2]. Ces miracles, sans doute, n’étaient pas plus nécessaires quand Jésus enseignait et persuadait qu’aujourd’hui que nos pasteurs enseignent et ne persuadent pas.
Tel est le raisonnement de nos adversaires : il paraît spécieux ; mais ne peut-on pas lui faire une réponse solide ? Jésus fit des miracles dans les premiers siècles pour établir la foi, il n’en fit jamais pour inspirer la charité ; c’est surtout de charité que nous avons besoin. Le grand miracle destiné à produire cette vertu qui nous manque est de parler au cœur et de le toucher ; demandons ce prodige, et nous l’obtiendrons. Tant de sectes, tant de savants, ne pourront jamais penser d’une manière uniforme ; mais nous pourrons nous supporter, et même nous aimer.
Spinosa ne croyait à aucun miracle ; mais il partagea le peu de bien qui lui restait avec un ami indigent qui les croyait tous.