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QUATRIÈME LETTRE.
du proposant à m. le professeur ; et remerciements à ses extrèmes bontés.

Que je vous suis obligé, monsieur, d’avoir daigné me fournir quelques-unes de vos armes pour combattre la nombreuse armée des incrédules ! C’est Achille qui prête son armure à Patrocle ; mais on m’a dit que, Patrocle ayant été vaincu, je devais craindre de l’être aussi.

J’ai malheureusement répété votre leçon devant un jeune écolier de physique et d’astronomie ; je lui ai fait valoir d’abord la bonté, l’éloquence, la politesse, le savoir-vivre que vous avez employé pour m’instruire ; je lui ai exposé votre démonstration de la manière dont le soleil et la lune s’arrêtèrent en plein midi pour donner le temps à Josué de massacrer ces Amorrhéens écrasés par une pluie de pierres. Voici ce que je lui ai dit : « Monsieur le professeur prétend qu’il suffit, pour cette opération naturelle, que la terre se soit arrêtée huit à neuf heures dans sa rotation sur son axe, et que c’est là tout le mystère. »

L’écolier, monsieur, qui n’a pas encore acquis toute votre politesse, en a eu cependant assez pour me dire qu’il n’était pas possible qu’un homme tel que vous eût dit une telle bêtise, et que vous possédez trop bien votre Écriture sainte et l’astronomie pour parler avec cette excessive ignorance. Les sacrés cahiers affirment positivement que le soleil s’arrêta sur Gabaon, et la lune sur Aïalon à l’heure de midi. Or la lune ne pouvait suspendre son cours, qui s’achève en un mois autour de la terre, sans que la terre suspendit sa course annuelle, car le soleil est mis pour la terre dans les sacrés cahiers, et l’auteur inspiré ne savait pas que c’est la terre qui tourne.

Or, si la terre et la lune se sont arrêtées, celle-ci dans sa période d’un mois sur Aïalon, celle-là dans sa période d’un an vis-à-vis Gabaon, il est absolument nécessaire que les points correspondants de toutes les planètes aient changé pendant tout ce temps-là. Mais, comme au bout de huit à neuf heures ils se retrouvèrent les mêmes, il fallait que toutes les planètes eussent suspendu leur course : cela est démontré en rigueur[1].

  1. La plupart des commentateurs prétendent que le soleil et la lune s’arrêtèrent un jour entier. (Note de Voltaire.)