Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/406

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homme comme lui, qui a fait des miracles, de voir qu’on écrit sur cette matière sans le citer.

C’est, selon lui, comme si, en parlant des grands capitaines, on oubliait le roi de Prusse. Je conseille donc à monsieur le professeur et à monsieur le proposant de rendre plus de justice à M. Needham, et de parler toujours de ses anguilles quand ils citeront les miracles de l’Ancien et du Nouveau Testament, et ceux de Grégoire Thaumaturge.

M. Needham est certainement un homme prodigieux ; il est plus propre que personne à faire des miracles, car il ressemble aux apôtres avant qu’ils eussent reçu le Saint-Esprit. Dieu opère toujours les grandes choses par les mains des petits, et surtout des ignorants, pour mieux faire éclater sa sagesse.

Si M.  Needham n’a pas su qu’on avait vu la lune s’arrêter sur Aïalon en plein midi, quand le soleil s’arrêta sur Gabaon, et s’il a dit des sottises, il n’en est que plus admirable. On voit qu’il raisonne précisément comme un homme inspiré. Dieu s’est toujours proportionné au génie de ceux qu’il fait parler. Amos, qui était un bouvier, s’explique en bouvier ; Matthieu[1], qui avait été commis de la douane, compare souvent le royaume des cieux à une bonne somme d’argent mise à usure ; et quand M.  Needham, pauvre d’esprit, s’abandonne aux impulsions de son génie, il dit des pauvretés. Tout est dans l’ordre.

J’ai peur que M.  Needham n’outrage le Saint-Esprit, et ne trahisse sa vocation, quand il consulte nos maîtres en Israël sur ce qu’il doit dire au proposant : c’est se défier de son inspiration divine que demander conseil à des hommes ; il peut me répondre que c’est par humilité, et que Moïse demandait le chemin aux fils de Jéthro[2], quoiqu’il fût conduit par un nuage et par la colonne de feu. M.  Needham n’a pas à la vérité la colonne de feu, mais il a certainement le nuage : d’ailleurs, à qui demander le chemin quand on voyage dans les espaces imaginaires ?

Qu’il s’en tienne à ses anguilles, puisqu’il est leur camarade en tant qu’elles rampent, s’il ne l’est pas en tant qu’elles frétillent. Que surtout l’envie de se transfigurer en serpent ne lui prenne plus ; qu’il ne pense pas qu’il soit en droit de siffler parce qu’on le siffle, et de mordre au talon ceux qui peuvent lui écraser la tête. Qu’enfin il laisse la lune s’arrêter sur Aïalon, et qu’il ne se mêle plus d’aboyer à la lune.

  1. xxv, 27.
  2. Nombres, x, 31.