Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/419

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quelquefois M. Deluc[1] une heure entière, quoiqu’il ne sache pas mieux l’hébreu que vous.

Vous voulûtes me faire mettre à genoux, et vous me le conseillâtes par une lettre. Vous sûtes alors que je ne me mets à genoux que devant Dieu, et vous apprîtes que les pasteurs ne sont point magistrats. Nous savons très-bien distinguer l’empire et le sacerdoce. L’empire est à nous, et le sacerdoce dépend tellement de l’empire qu’on vous présente à nous quand on vous a nommé à une cure de la ville. Nous pouvons vous accepter ou vous rejeter : donc nous sommes vos souverains. Prêchez, et nous jugerons de votre doctrine ; écrivez, et nous jugerons de votre style ; faites des miracles, et nous jugerons de votre savoir-faire. Je vous l’ai déjà dit, le temps n’est plus où les laïques n’osaient penser, et il n’est plus permis de nous donner du gland quand nous nous sommes procuré du pain.

Les gens d’église, dans tous les pays, sont un peu fâchés que les hommes aient des yeux : ils voudraient être à la tête d’une société d’aveugles ; mais sachez qu’il est plus honorable d’être approuvé par des hommes qui raisonnent que de dominer sur des gens qui ne pensent pas.

Il y a deux choses importantes dont on ne parle jamais dans le pays des esclaves, et dont tous les citoyens doivent s’entretenir dans les pays libres : l’une est le gouvernement ; l’autre, la religion. Le marchand, l’artisan, doivent se mettre en état de n’être trompés ni sur l’un ni sur l’autre de ces objets. La tyrannie ridicule qu’on a voulu exercer sur moi n’a servi qu’à me faire mieux connaître mes droits d’homme et de chrétien. Tous ceux qui pensent comme moi (et ils sont en très-grand nombre) soutiendront jusqu’au dernier soupir ces droits inviolables ; et, comme me disait fort bien une lingère de mon quartier, fari quæ sentiat[2] est le privilège d’un homme libre. Croyez-moi, messieurs, ménagez les citoyens, bourgeois, natifs, et habitants, si vous voulez conserver un peu de crédit : car, selon saint Flaccus Horatius, dans sa quatrième Épître aux Galates, celui qui exige plus qu’on ne lui doit perd bientôt ce qui lui est dû, ou deü, etc., etc.

  1. François Deluc, né en 1698, et mort en 1780. J.-J. Rousseau dit de lui ; « C’est le plus honnête et le plus ennuyeux des hommes. »
  2. Horace, I, épître iv, 9.