Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/420

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ONZIÈME LETTRE.
écrite par le proposant a m. covelle.

Monsieur,

Je bénis la Providence qui m’a conduit chez M. le comte de Hiss-Priest-Craft[1] dont j’ai l’honneur d’être le chapelain. Non-seulement il a eu la bonté de me faire payer d’avance cent écus patagons pour les premiers quatre mois de mon exercice, mais je suis chauffé, éclairé, blanchi, nourri, rasé, porté, habillé. Je doute fort que le lévite qui desservait la chapelle de la veuve Michas[2] l’idolâtre eût une condition aussi bonne que la mienne. Il est vrai que Mme Michas lui donnait une soutane et un manteau noir par année, et qu’il avait bouche à cour ; mais il n’avait que dix petits écus de gage, ce qui n’approche pas de mes appointements.

Son Excellence me traite d’ailleurs avec beaucoup de bonté ; il commence à prendre en moi un peu de confiance, et je ne désespère pas de le convertir sur le chapitre des miracles, pourvu que ce malheureux jésuite Needham ne s’en mêle pas, car Son Excellence a une répugnance invincible pour les jésuites, pour les absurdités, et pour les anguilles : c’est à cela près le meilleur homme du monde, et si jamais vous venez dans son petit État, vous verrez combien sa conduite est édifiante, et avec quelle sincérité il adore le Dieu de tous les êtres et de tous les temps.

Il est, de plus, fort savant. Il a ordonné à un juif[3] qui est son bibliothécaire de lui faire une belle collection des anciens fragments de Sanchoniathon, de Bérose, de Manéthon, de Chérémon, des anciens hymnes d’Orphée, d’Ocellus-Lucanus, de Timée de Locres, et de tous ces anciens monuments peu consultés par les modernes.

Il me faisait lire hier Flavius Josèphe, cet historien juif qui écrivait sous Vespasien ; Josèphe, parent de la reine Mariamne,

  1. Voyez une note sur la 3e lettre, page 378.
  2. Juges, xvii.
  3. Voltaire veut peut-être parler de Moses Mendelssohn, né à Dessau en 1729, mort en 1786 ; mais ce savant juif ne fut pas bibliothécaire de Frédéric II, qui croyait que les juifs n’étaient pas de l’espèce humaine, à ce que rapporte Mirabeau.