Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/423

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âme étant une fois tyrannisée, toutes les autres facultés doivent l’être également. Et c’est là ce qui a produit tous les crimes religieux dont la terre a été inondée.

Dans toutes les guerres civiles que les dogmes ont allumées, dans tous les tribunaux des inquisitions, et toutes les fois qu’on a cru expédient d’assassiner des particuliers ou des princes d’une secte différente de la nôtre, on s’est toujours servi de ces paroles de l’Évangile : « Je ne suis pas venu apporter la paix[1], mais le glaive ; je suis venu diviser le fils et le père, la fille et la mère, etc. »

Il fallait avoir recours alors à ce miracle dont je vous ai déjà parlé[2], qui consiste à entendre le contraire de ce qui est écrit. Certainement ces paroles veulent dire : « Je suis venu réunir le fils et le père, la fille et la mère ; » car si nous entendions ce passage à la lettre, nous serions obligés, en conscience, de faire de ce monde un théâtre de parricides.

De même, lorsqu’il est dit que Jésus sécha le figuier vert, cela veut dire qu’il fit reverdir un figuier sec : car ce dernier miracle est utile, et le premier est pernicieux.

Croyons aussi que quand le grand serviteur de Dieu Josuah arrêta le soleil, qui ne marche pas, et la lune, qui marche, ce ne fut point pour achever de massacrer en plein midi de pauvres citoyens qu’il venait voler, mais pour avoir le temps de secourir ces malheureux, ou de faire quelque bonne action.

C’est ainsi, monsieur, que la lettre tue et que l’esprit vivifie[3].

En un mot, que votre religion soit toujours de la morale saine dans la théorie ; et de la bienfaisance dans la pratique.

Recommandez ces maximes à nos chers concitoyens ; qu’ils sachent que l’erreur ne mène jamais à la vertu ; qu’ils fassent usage de leurs lumières[4], qu’ils s’éclairent les uns les autres, qu’ils ne craignent point de dire la vérité dans tous leurs cercles, dans toutes leurs assemblées. La société humaine a été trop longtemps semblable à un grand jeu de bassette, où des fripons volent des dupes, tandis que d’honnêtes gens discrets n’osent avertir les perdants qu’on les trompe.

Plus mes compatriotes chercheront la vérité, plus ils aimeront leur liberté. La même force d’esprit qui nous conduit au vrai nous

  1. Matthieu, x, 34, 35.
  2. 10e lettre, page 407.
  3. II Corinth., iii, 6.
  4. Matthieu, v ; Marc, iv ; et Luc, viii, s’accordent sur ce qu’on ne doit pas cacher les lumières, et ils vont même jusqu’à dire qu’il n’y a rien de secret qui ne doive être connu des hommes. (Cl.)