Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/432

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fureurs de saint Cyrille contre ceux qui appelaient Marie mère de Jésus, et non pas mère de Dieu.

Nous n’avons point imité la rage des chrétiens qui, oubliant que tous les Pères de l’Église avaient été platoniciens, allèrent dans Alexandrie, en 415, saisir la belle Hypatie dans sa chaire, où elle enseignait la philosophie de Platon, la traînèrent par les cheveux dans la place publique, et la massacrèrent sans que sa jeunesse, sa beauté, sa vertu, leur inspirassent le moindre remords, car ils étaient conduits par un théologien[1] qui tenait contre Platon pour Aristote.

Nous n’avons point eu de ces guerres civiles qui ont désolé l’Europe dans ces vingt-sept schismes sanglants, formés par de saints prétendants à la chaire de saint Pierre, au titre de vicaires de Dieu et au droit d’être infaillibles. Nous n’avons point renouvelé les horreurs incroyables des xvie et xviie siècles, de ces temps abominables où sept ou huit arguments de théologie changèrent les hommes en bêtes féroces, comme autrefois la théologienne Circé changea des Grecs en animaux avec des paroles.

Nos querelles, monsieur, n’ont été que ridicules. Les esprits de nos prédicants commencèrent à s’échauffer, il y a quatre ans, au sujet d’un pauvre diable de pasteur de campagne, nommé Petit-Pierre[2], bonhomme qui entendait parfaitement la Trinité, et qui savait au juste comment le Saint-Esprit procède, mais qui errait toto cœlo sur le chapitre de l’enfer.

Ce Petit-Pierre concevait très-bien comment il y avait au jardin d’Éden un arbre qui donnait la connaissance du bien et du mal, comment Adam et Eve vécurent environ neuf cents ans pour en avoir mangé ; mais il ne digérait pas que nous fussions brûlés à jamais pour cette affaire. C’était un homme de bonne composition : il voulait bien que les descendants d’Adam, tant blancs que noirs, rouges ou cendrés, barbus ou imberbes, fussent damnés pendant sept ou huit cent mille ans, cela lui paraissait juste ; mais, pour l’éternité, il n’en pouvait convenir ; il trouvait, par le calcul intégral, qu’il était impossible, data fluente, que la faute momentanée d’un être fini fût châtiée par une peine infinie, parce que le fini est zéro par rapport à l’infini.

À cela nos prédicants répondaient que les Chaldéens, qui avaient inventé l’enfer ; les Égyptiens, qui l’avaient adopté ; les Grecs et les Romains, qui l’avaient embelli (tandis que les Juifs l’ignoraient absolument), étaient tous convenus que l’enfer est

  1. Saint Cyrille ; voyez tome XIX, page 392.
  2. Voyez tome XVIII, page 546.