Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/440

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« Vous êtes ministres comme nous sommes assesseurs, lieutenants, baillis, trésoriers. Nous n’avons plus ces titres quand nous n’avons plus ces emplois. Un ministre est amovible comme nous : il ne lui reste rien de son caractère quand il change d’état.

« Pensez-vous de Ijonne foi que les langues de feu[1] qui descendirent du ciel sur la tête des disciples soient venues depuis le xvie siècle se reposer sur la vôtre ? Des nations sages et hardies foulèrent alors aux pieds quelques-unes des superstitions dont la terre était infectée : les magistrats vous remirent le soin de prêcher les peuples ; mais ils ne prétendirent pas qu’une chaire fût un tribunal de justice.

« Vous n’avez, vous ne devez avoir aucune juridiction, non pas même en fait de dogmes. Nous savons ce qu’il convient d’enseigner et de taire : c’est à nous à vous le prescrire ; c’est à vous d’obéir au gouvernement. Il n’appartient qu’à la nation assemblée, ou à celui qui la représente, de confier un ministère, quel qu’il puisse être, à qui bon lui semble. Telle est la loi dans le vaste empire de Russie, telle est la loi en Angleterre ; et c’est le seul moyen d’arrêter vos disputes, aussi interminables que ridicules.

« Les Grecs et les Romains ne permirent jamais aux collèges des prêtres de proclamer des articles de foi. Ces peuples sages sentirent quels maux apporteraient des décisions théologiques. Ils fermèrent cette source de discorde, qui n’a jailli que parmi nous, qui a coulé avec notre sang, et qui a inondé l’Europe.

« Tout gouvernement qui laisse du pouvoir aux prêtres est insensé ; il doit nécessairement périr ; et s’il n’est pas détruit, il ne doit sa conservation qu’aux laïques éclairés qui combattent en sa faveur.

« Mais quoi ! n’ayant aucun pouvoir, vous en chercheriez en soulevant la populace contre un citoyen ! Ce ne serait pas là un abus, ce serait un délit que le magistrat punirait sévèrement. Sachez que nous ouvrons les yeux à Neufchâtel comme ailleurs ; sachez que nous commençons à distinguer la religion du fanatisme, le culte de Dieu du despotisme presbytéral, et que nous ne prétendons plus être menés, avec un licou, par des gens à qui nous donnons des gages. » (Je me servis, monsieur, de vos propres paroles.)

Je ne raillais point alors ; je ne plaisantais point. Il y a des choses dont on ne doit que rire ; il y en a contre lesquelles il faut s’élever avec force. Moquez-vous tant qu’il vous plaira de saint Jus-

  1. Actes, ii, 3.