Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vanta de faire Théon, et même des milliers de Théoi : de quoi toute l’assemblée frémit.

Monsieur le modérateur l’adjura, au nom du Dieu vivant, de dire nettement et sans équivoque s’il était jésuite ou non. À ce mot d’équivoque il pâlit, il rougit, il se recueillit un moment, et répondit en balbutiant : « Je ne suis pas ce que vous croyez que je suis. » Malheureusement, en disant ces paroles, il laissa tomber de sa poche une lettre du général de Rome, dont l’adresse était : « Al reverendo, reverendo padre Needham, délia Società di Giesù. » Étant ainsi convaincu d’avoir menti au Saint-Esprit et au consistoire, il fut envoyé en prison. On continua le lendemain son interrogatoire, dont voici le précis :

Enquis s’il avait dit que la généalogie qui se trouve dans Matthieu est contraire à celle qui est dans Luc, a répondu que oui, et que c’était là le miracle. Enquis comment il accordait ces deux généalogies, a dit qu’il n’en savait rien.

Enquis s’il avait dit méchamment et proditoirement que, selon Matthieu, la sainte famille s’était enfuie en Égypte, et que, selon Luc, elle ne bougea de Bethléem, jusqu’à ce qu’elle alla à Nazareth en Galilée, a répondu qu’il l’avait dit ainsi.

Et sur ce qu’on lui demanda comment on conciliait ces contrariétés apparentes, il répondit que par Nazareth il fallait entendre l’Égypte, et par l’Égypte Nazareth.

Enquis pourquoi il avait écrit que, selon Jean, notre divin Sauveur avait vécu trois ans trois mois depuis son baptême, et que, selon les autres, il n’avait vécu que trois mois, a répondu qu’il fallait prendre trois mois pour trois ans.

Interrogé comment il avait expliqué l’apparition et l’ascension en Galilée selon Matthieu, et selon Luc à Jérusalem et en Béthanie, a répondu que ce n’était pas une chose importante, et qu’on peut fort bien monter au ciel de deux endroits à la fois.

À lui remontré qu’il était un imbécile, a répondu qu’il était qualifié pour la théologie ; sur quoi monsieur le modérateur lui repartit fort pertinemment : « Maître Needham, bien est-il vrai que théologiens sont parfois gens absurdes ; mais on peut raisonner comme un coq d’Inde, et se conduire avec prudence de serpent[1]. »

Je vous épargne, mademoiselle, le grand nombre de questions qu’on lui fit, et que vous entendriez aussi peu que toutes les saintes femmes de votre caractère.

Quand il eut signé son interrogatoire, on procéda au juge-

  1. Matthieu, x, 16.