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CHAPITRE V.

Que de moyens de les rendre utiles, et d’empêcher qu’ils ne soient jamais dangereux ! La prudence du ministère et du conseil, appuyée de la force, trouvera bien aisément ces moyens, que tant d’autres nations emploient si heureusement.

Il y a des fanatiques encore dans la populace calviniste ; mais il est constant qu’il y en a davantage dans la populace convulsionnaire. La lie des insensés de Saint-Médard est comptée pour rien dans la nation, celle des prophètes calvinistes est anéantie. Le grand moyen de diminuer le nombre des maniaques, s’il en reste, est d’abandonner cette maladie de l’esprit au régime de la raison, qui éclaire lentement, mais infailliblement, les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspire l’indulgence, elle étouffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l’obéissance aux lois, plus encore que la force ne les maintient. Et comptera-t-on pour rien le ridicule attaché aujourd’hui à l’enthousiasme par tous les honnêtes gens ? Ce ridicule est une puissante barrière contre les extravagances de tous les sectaires. Les temps passés sont comme s’ils n’avaient jamais été. Il faut toujours partir du point où l’on est, et de celui où les nations sont parvenues.

Il a été un temps où l’on se crut obligé de rendre des arrêts contre ceux qui enseignaient une doctrine contraire aux catégories d’Aristote, à l’horreur du vide, aux quiddités, et à l’universel de la part de la chose. Nous avons en Europe plus de cent volumes de jurisprudence sur la sorcellerie, et sur la manière de distinguer les faux sorciers des véritables. L’excommunication des sauterelles et des insectes nuisibles aux moissons a été très en usage[1], et subsiste encore dans plusieurs rituels. L’usage est passé ; on laisse en paix Aristote, les sorciers et les sauterelles. Les exemples de ces graves démences, autrefois si importantes, sont innombrables : il en revient d’autres de temps en temps ; mais quand elles ont fait leur effet, quand on en est rassasié, elles s’anéantissent. Si quelqu’un s’avisait aujourd’hui d’être carpocratien, ou eutychéen, ou monothélite, monophysite, nestorien, manichéen, etc., qu’arriverait-il ? On en rirait, comme d’un homme habillé à l’antique, avec une fraise et un pourpoint.

La nation commençait à entr’ouvrir les yeux lorsque les jésuites

  1. On a de M. Berriat-Saint-Prix Rapport et Recherches sur les procès et jugements relatifs aux animaux, 1829, in-8o, et dans le tome VIII des Mémoires de la Société royale des antiquaires. (B.)