Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
37
SI LA TOLÉRANCE EST DANGEREUSE.


CHAPITRE V.


COMMENT LA TOLÉRANCE PEUT ÊTRE ADMISE.


J’ose supposer qu’un ministre éclairé et magnanime, un prélat humain et sage, un prince qui sait que son intérêt consiste dans le grand nombre de ses sujets, et sa gloire dans leur bonheur, daigne jeter les yeux sur cet écrit informe et défectueux : il y supplée par ses propres lumières ; il se dit à lui-même : Que risquerai-je à voir la terre cultivée et ornée par plus de mains laborieuses, les tributs augmentés, l’État plus florissant ?

L’Allemagne serait un désert couvert des ossements des catholiques, évangéliques, réformés, anabaptistes, égorgés les uns par les autres, si la paix de Vestphalie n’avait pas procuré enfin la liberté de conscience.

Nous avons des juifs à Bordeaux, à Metz, en Alsace ; nous avons des luthériens, des molinistes, des jansénistes : ne pouvons-nous pas souffrir et contenir des calvinistes à peu près aux mêmes conditions que les catholiques sont tolérés à Londres ? Plus il y a de sectes, moins chacune est dangereuse ; la multiplicité les affaiblit ; toutes sont réprimées par de justes lois qui défendent les assemblées tumultueuses, les injures, les séditions, et qui sont toujours en vigueur par la force coactive.

Nous savons que plusieurs chefs de famille, qui ont élevé de grandes fortunes dans les pays étrangers, sont prêts à retourner dans leur patrie ; ils ne demandent que la protection de la loi naturelle, la validité de leurs mariages, la certitude de l’état de leurs enfants, le droit d’hériter de leurs pères, la franchise de leurs personnes ; point de temples publics, point de droit aux charges municipales, aux dignités : les catholiques n’en ont ni à Londres ni en plusieurs autres pays. Il ne s’agit plus de donner des priviléges immenses, des places de sûreté à une faction, mais de laisser vivre un peuple paisible, d’adoucir des édits autrefois peut-être nécessaires, et qui ne le sont plus. Ce n’est pas à nous d’indiquer au ministère ce qu’il peut faire ; il suffit de l’implorer pour des infortunés.

    naît le génie et les grands sentiments, et dont le cœur est aussi noble que la naissance : ils verront assez que le rétablissement de la marine demande quelque indulgence pour les habitants de nos côtes. (Note de Voltaire.) — Les deux ministres dont Voltaire fait l’éloge sont le duc de Choiseul-Stainville, et son cousin le duc de Praslin ; voyez tome XV, page 373, et tome XXIV, page 474.