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SI LES ROMAINS ONT ÉTÉ TOLÉRANTS.

qu’il était en démence[1] : Multæ te litteræ ad insaniam convertunt. Festus n’écouta donc que l’équité de la loi romaine en donnant sa protection à un inconnu qu’il ne pouvait estimer.

Voilà le Saint-Esprit lui-même qui déclare que les Romains n’étaient pas persécuteurs, et qu’ils étaient justes. Ce ne sont pas les Romains qui se soulevèrent contre saint Paul, ce furent les Juifs. Saint Jacques, frère de Jésus, fut lapidé par l’ordre d’un Juif saducéen, et non d’un Romain. Les Juifs seuls lapidèrent saint Étienne[2] ; et lorsque saint Paul gardait les manteaux des exécuteurs[3], certes il n’agissait pas en citoyen romain.

Les premiers chrétiens n’avaient rien sans doute à démêler avec les Romains ; ils n’avaient d’ennemis que les Juifs, dont ils commençaient à se séparer. On sait quelle haine implacable portent tous les sectaires à ceux qui abandonnent leur secte. Il y eut sans doute du tumulte dans les synagogues de Rome. Suétone dit, dans la Vie de Claude (chap. xxv) : Judæos, impulsore Christo assidue tumultuantes, Roma expulit. Il se trompait, en disant que c’était à l’instigation de Christ : il ne pouvait pas être instruit des détails d’un peuple aussi méprisé à Rome que l’était le peuple juif ; mais il ne se trompait pas sur l’occasion de ces querelles. Suétone écrivait sous Adrien, dans le second siècle ; les chrétiens n’étaient pas alors distingués des Juifs aux yeux des Romains. Le passage de Suétone fait voir que les Romains, loin d’opprimer les premiers chrétiens, réprimaient alors les Juifs qui les persécutaient. Ils voulaient que la synagogue de Rome eût pour ses frères séparés la même indulgence que le sénat avait pour elle, et les Juifs chassés revinrent bientôt après ; ils parvinrent même aux honneurs, malgré les lois qui les en excluaient : c’est Dion Cassius et Ulpien qui nous l’apprennent[4] : Est-il possible qu’après la ruine de Jérusalem les empereurs eussent prodigué des dignités aux Juifs, et qu’ils eussent persécuté, livré aux bourreaux et aux bêtes, des chrétiens qu’on regardait comme une secte de Juifs ?

Néron, dit-on, les persécuta. Tacite nous apprend qu’ils furent

  1. Actes, chapitre XXVI, v. 24. (Note de Voltaire).
  2. Quoique les Juifs n’eussent pas le droit du glaive depuis qu’Archélaüs avait été relégué chez les Allobroges, et que la Judée était gouvernée en province de l’empire, cependant les Romains fermaient souvent les yeux quand les Juifs exerçaient le jugement du zèle, c’est-à-dire quand, dans une émeute subite, ils lapidaient par zèle celui qu’ils croyaient avoir blasphémé. (Id.)
  3. Actes, chap. vii, verset 57.
  4. Ulpianus, Digest., lib. I, tit. ii. « Eis qui judaicam superstitionem sequuntur honores adipisci permiserunt, etc. » (Note de Voltaire.)