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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/556

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COMMENTAIRE SUR LE LIVRE

péché en souffrait la peine. Mais il était fort difficile de décider ce qui est un blasphème. Il échappe dans la colère, ou dans la joie, ou dans la simple conversation, des expressions qui ne sont, à proprement parler, que des explétives, comme le sela et le vah des Hébreux ; le pol et l’ædepol des Latins ; et comme le per deos immortales, dont on se servait à tout propos, sans faire réellement un serment par les dieux immortels.

Ces mots, qu’on appelle jurements, blasphèmes, sont communément des termes vagues qu’on interprète arbitrairement. La loi qui les punit semble prise de celle des Juifs, qui dit : « Tu ne prendras point le nom de Dieu en vain[1]. » Les plus habiles interprètes croient que cette loi défend le parjure ; et ils ont d’autant plus raison que le mot shavé, qu’on a traduit par en vain, signifie proprement le parjure. Or quel rapport le parjure peut-il avoir avec ces mots qu’on adoucit par cadédis, sangbleu, ventrebleu, corbleu[2] ?

Les Juifs juraient par la vie de Dieu : Vivit Dominus. C’était une formule ordinaire. Il n’était donc défendu que de mentir au nom de Dieu, qu’on attestait.

Philippe-Auguste, en 1181, avait condamné les nobles de son domaine qui prononceraient têtebleu, ventrebleu, corbleu, sangbleu, à payer une amende, et les roturiers à être noyés. La première partie de cette ordonnance parut puérile ; la seconde était abominable. C’était outrager la nature que de noyer des citoyens pour la même faute que les nobles expiaient pour deux ou trois sous de ce temps-là. Aussi cette étrange loi resta sans exécution, comme tant d’autres, surtout quand le roi fut excommunié et son royaume mis en interdit par le pape Célestin III.

Saint Louis, transporté de zèle, ordonna indifféremment qu’on perçât la langue, ou qu’on coupât la lèvre supérieure à quiconque aurait prononcé ces termes indécents. Il en coûta la langue à un gros bourgeois de Paris, qui s’en plaignit au pape Innocent IV. Ce pontife remontra fortement au roi que la peine était trop forte pour le délit. Le roi s’abstint désormais de cette sévérité. Il eût été heureux pour la société humaine que les papes n’eussent jamais affecté d’autre supériorité sur les rois.

L’ordonnance de Louis XIV, de l’année 1666, statue :

« Que ceux qui seront convaincus d’avoir juré et blasphémé

  1. Exode, xx, 7.
  2. On lit dans l’édition originale : « Or, quel rapport le parjure peut-il avoir avec ces mots cabo de dios, cadédis, sangbleu, ventrebleu, corpo di dio ? » Le texte actuel est de 1767.